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L'interview DES FRERES MORVAN

Gérard SIMON : " Merci infiniment à tous les deux, de bien vouloir nous répondre, ça nous touche beaucoup, nous nous sommes fait un immenses plaisir à venir à ce fest-noz et à vous rencontrer, sachez-le. Nous avons beaucoup de respect pour ce que vous faites…
A vous voir, sur scène, comme tout à l’heure, vous êtes très jeunes et vous avez une dynamique… et vous faites danser, encore de bien plus jeunes… Qu’est ce que cela vous fait, lorsque vous voyez cela ?"

Yvon MORVAN : " Evidemment, quand on voit, devant nous, un public très dansant, comme tout à l’heure, les anciens, les jeunes, tous âges, ça fait chaud au cœur…"

GS : " Et de voir des très jeunes qui, en fait, sont sensibles à la musique de vos voix… "

YM : " Bien évidemment, car les anciens ne resteront pas longtemps, il faudra que les jeunes les remplacent !..."

GS : " Il faudra une relève…"

YM : " Bien sur !… dans tous les domaines, d’ailleurs... "


GS : " Avec vous, je crois que c’est bien parti ! "

YM : " Oui, oui, c’est bien parti… on a la relève derrière nous..."

GS : " Le « Kan Ha Diskan » qui, est en fait, un chant à répondre, c’est comme cela que l’on peut le résumer ? "

YM : " C’est un chant à répétitions, comme l’on dit ! "

GS : " D’après la traduction du Breton c’est un chant et « dé-chant..."

YM : " Chant et re-chant…. Kan Ha Diskan, en Français, ça veut dire : chanter-rechanter "

GS : " C’est votre grande spécialité et ce chant a été transmis oralement… Comment et de qui avez-vous reçu, je dirais, ce virus ? "

YM : " Si on appelle ça un virus…je dirais que c’est un héritage familial, puisque nos parents, le pratiquaient, après leurs parents…donc nos grands parents, déjà, Vers les années 1870… "

Henri MORVAN intervient :
" 75 ! "

Yvon reprend : " 70-75… Ils chantaient, déjà, le répertoire qui nous a été transmis… pas par nos grands parents puisque nous ne les avons pas connus, mais seulement nos parents qui nous ont transmis ce qu’ils avaient de leurs propres parents. On est là pour représenter encore ce que je viens de vous dire.
HM : " C'’est la 3ème génération..."
YM : " C’est une tradition, dans le centre Bretagne, chez nous… Ce n’est pas de l’invention mais nous ne connaissons pas la date réelle. Probablement, avant nos grands-parents, d’autres le « faisaient », nous ne savons pas.
"

GS : " Donc, ça va très très loin…"

YM : " Oui, ça va loin ! "

GS : " On n’arrive pas à dater ? Parce qu’il n’y a pas de « mémoire », de trace ? "

YM : " Il n’y a pas de dates exactes. Par rapport à nos connaissances, nous avons reçu l’héritage de nos grands-parents, plus exactement de notre grand-père maternel qui serait né en 1852 ."


GS : " Vous faites énormément de festoù deiz, de festoù noz, approximativement, combien en faites vous par an ? "

YM : " Je vous dirais, en gros, cette année, cela fera du 70, 75..."

GS : " C’est impressionnant ! "

YM : " C’est impressionnant… et nous ne sommes pas des professionnels ! Nous sommes des paysans retraités. Nous ne faisons pas le métier de chanteur .

HM : Nous ne sommes pas des intermittents

YM : Nous jouons en « amateurs ".


GS : " Vous vous déplacez dans toute la Bretagne, est-ce que vous allez dans d’autres régions de France, aussi ? "

YM : " J’ai promis et certifié que je ne chanterais que sur le territoire Breton. "

GS : " Vous n’avez jamais chanté à l’étranger, par exemple ? "

YM : " Nos voix sont sûrement allées au dehors du territoire de la Bretagne, mais nous n’avons jamais quitté la Bretagne pour autant. "

GS : " Et vous n’avez jamais eu envie d’exporter ce style vocal « au delà du pays qui regarde la mer ? "

YM : " On devait, mais il y en a d’autres qui l’ont fait à notre place, alors nous nous contentons de rester chez nous pour représenter quelque chose qui ne devait pas disparaître et qui était sur le point de disparaître, chez nous, dans le centre Bretagne. Il y a eu une période, dans les premières années 50, on l’on ne voulait plus entendre parler du Breton, même chez nous. "

GS : " Même chez vous ? "

YM : " Oui, même chez nous ! C’était appelé à disparaître.
En fait, vous êtes ravis, un peu, de cette renaissance
?

YM : Vraiment oui. Nous sommes vraiment fiers de vous le dire à la Baule, ce qui est, pour nous, très fort, ça n’empêche pas autre chose, mais que l’on ait pu garder une vraie culture qui n’est pas n’importe quoi. "

GS : " Quelque chose d’authentique, d’enraciné, de véridique ! C’est une merveille de vous écouter. "

YM : " Mais c’est peut-être, aussi, une merveille qui est représentée par le public qui s’ouvre à nous. Nous ne sommes pas les seuls, car nous n’aurions pas eu « bonne mine » et nous n’aurions rien représenté s’il n’y avait pas eu un public, en face de nous, pour danser... "

GS : " C’est une action qui se fait collectivement… et dans le temps ? "

YM : " Voilà ! Car il faut le dire, il y a des « mordus » pour le chant, pour la musique, mais il y en a, aussi, des « mordus » pour la danse. "


GS : "Revenons à l’aspect artistique de votre formation, nous associons, ce soir, le troisième élément du groupe, votre frère qui n’est pas là ce soir.
On vous a souvent nommé les « Sœurs Goadec masculins » ? acceptez-vous cette comparaison, avec ces 3 respectables Dames., quels sont, les points communs et les différences, avec elles ? "

YM et HM : " Par rapport à l’âge aussi, c’est une génération au-dessus de nous Nous avons bien connu les 3 Sœurs Goadec, depuis longtemps d’ailleurs…. depuis 1958. "

GS : " 1958, c’est la date de formation de votre groupe ? "


YM et HM : " Voilà, c ’est à cette époque que nous avons commencé à chanter devant un micro. Cela fait 47 ans ! "

GS : " Sur le plan artistique, il y a des choses communes ? Mais quelles sont, aussi, les différences avec les Sœurs Goadec ? Vous avez les mêmes registres de chants ? "

YM : " Il y a des particules qui sont un peu différentes. Les Sœurs Goadec étaient plutôt du Pays « gavottes que nous autes !» ... Nous, on est plutôt dans le pays « Fanch Plinn ». Cela ne fait pas une grande différence, car il y a environ 30 km de distance entre les Sœurs Goadec et nos lieux de naissance, mais ce n’était pas le même terroir. "

GS : " En Bretagne, c’est vrai qu’il y a des danses qui sont régionales, locales, voire quasiment communales… "

YM et HM : " Oui… communales, avec une petite différence. D’ailleurs il y a plusieurs sortes de Gavottes mais qui diffèrent selon les communes. A 4 ou 5 km ce n’est plus tout à fait la même Gavotte. Mais nous, nous avons voulu garder la tradition de notre terroir. Nous n’avons pas cherché à chanter d’autres airs ou les danses des autres régions. Nous avons continué de chanter tels que nos parents et nos grands-parents. "

GS : " Vous colportez ces merveilleux « bijoux » vocaux d’un terroir très précis, mais quelquefois, vous les enregistrez. En 1999, vous avez enregistré le légendaire disque, « Le trésor de Botcol », nom du village de votre naissance ? "
YM : " Oui, c’est le village où nous sommes nés. Il dépend de la commune de Saint Nicomède, dans le canton de Callac, arrondissement de Guingamp, dans les Côtes d’Armor ".


GS : " Effectivement, votre localité se situe à 35 km au sud de Guingamp.
Vous n’avez pas enregistré, depuis, de nouveau disque, cependant, celui-ci demeure toujours, à ce jour, très légendaire !… "

YM : " …Il y a, peut-être des murmures, on se sait même pas, nous les intéressés, si un troisième va sortir ….. L’avenir nous le dira…
HM : « Le trésor de Botcol » c’est un livre aussi…Il porte le même nom que le disque puisque l’on a fait transcrire tout notre répertoire, toutes nos chansons dans cet ouvrage.
"

GS : " Outre ces disques, est-ce qu’il vous arrive de passer à la radio ? "


YM : " Oui, ça nous arrive car il y a une radio locale, chez nous, « RKB » qui se situe dans le bourg de Saint Nicomède..."GS : " Vous arrive-t-il de passer sur une radio comme « France Bleu Armorique » ?... "
YM : " Oui, ils nous diffusent aussi, régulièrement sur " Breizh Izel" .
"

GS : " Vous avez reçu un très bel héritage de vos aînés, pensez-vous que tout concoure, aujourd’hui, pour renouveler cette même transmission vers les nouvelles générations ? Pensez-vous qu’il y a les mêmes moyens, voire même davantage, ou peut-être moins ? "

YM : " Il y a sûrement les mêmes moyens, puisque, l’on vient de vous le dire, tout ce que nous avions en paroles ne l’était qu’en mémoire, mais à présent, « la mémoire est allée sur papier ».
Il y des jeunes qui s’intéressent tout de même à la langue bretonne ,qui prennent des cours pour apprendre à la parler. Tout ce que nous avons écrit est en Breton. Les jeunes qui sont dans les écoles « bretonnes » ont facilité à apprendre les textes et ce n’est plus un problème à présent. D’ailleurs, nous en avons reçu la preuve, par des jeunes, justement, qui ont pris des cours de Breton et qui connaissent, déjà, nos chansons alors que celles-ci ne viennent que d’être écrites…. Mais nous ne sommes pas les seuls, il y en a d’autres aussi qui chantent.
"


GS : " Merci pour cette transition. Justement à ce sujet, quels sont, pour vous, les « plus jeunes chanteurs » qui ont fait un travail de fond sur le Kan .Ha Diskan. et qui ont, ainsi, enrichi le patrimoine vocal traditionnel pour le faire perdurer dans le temps. Selon vous, quels sont les chanteurs qui ont fait ce travail là et que vous aimez, en qui vous croyez ? "

YM et HM : " Il y a aussi les chanteuses…Il nous est arrivé d’être dans des lieux où nous avons entendu nos chansons reprises par des jeunes chanteurs. Bien sur, elles font partie de notre répertoire mais elles ne nous appartiennent pas. Ce sont des chants traditionnels. Pour nous, ils représentaient pour nous une valeur et ça nous a fait chaud au cœur d’entendre les jeunes dire qu’ils apprenaient, à présent, ces chants que nous avions en mémoire…Nous sommes dits, mais c’est formidable !… Nous nous étions dit, tous les trois, en vieillissant, il serait bon de ne pas emporter avec nous ce qui nous avait été transmis…
HM : C’est pour cela que nous avons « fait mettre sur papier
»…
YM : Et vous savez, quelquefois c’est difficile de terminer les chansons car, parfois, il y en a qui possède jusqu’à 117 couplets de 4 lignes et il faut se rappeler de tout, alors que l’on chantait qu’un morceau !..."


GS : " Par rapport à ces « nouveaux chanteurs », que pensez-vous, par exemple, du travail de Yann-Fanch Quéméner, de Denez Prigent…"

YM : " Ca, se sont des supers professionnels ! "


GS : " Justement, pensez-vous que le professionnalisme a tué l’authentique. Quel est votre avis ? "

YM et HM : " La dessus, on ne répond pas !
C’est un autre monde, mais ils nous représentent aussi, mais dans un autre système. Disons que c’est plus moderne.
"

GS : " Quand Stivell, avec leur consentement, prend des extraits vocaux des sœurs Goadec, pour les incorporer à son album 1 Douar, aux couleurs, entre-autres, afro-celtiques, êst ce que cela vous dérange ou bien comprenez-vous sa démarche artistique ? "

YM : " Nous, on vous le dit franchement, on ne répond pas à la place des Sœurs Goadec, car elles ne sont malheureusement plus avec nous, je réponds pour moi pour mes frères…je suis très heureux et je ne porterai pas préjudice à ceux qui vont chanter nos chansons après nous."

GS : " Vous ne pensez pas, qu’artistiquement, cela soit négatif ? "

YM : " Cela n’est pas négatif du tout…. C’est plutôt « affirmatif »."

GS : " C’est très bien de le dire, car vous, qui êtes enracinés, traditionnels, d’envisager une nouvelle forme de la pérennité de cette musique, c’est très intéressant. "

YM : " Je vous dirais, franchement, ça n’empêcherait pas autre chose. Ceux qui veulent chanter en Breton, le peuvent. Ils peuvent, aussi, chanter en français. Vous savez, je suis allé à l’école pour apprendre le Français alors que je ne parlais que le Breton à la maison, mais ça ne m’a pas empêché d’apprendre, aussi, le français. Et j’aurai, peut-être aussi, pu apprendre d’autres langues, je ne suis pas allé plus loin, je me suis contenté de mon Certificat d’Etudes, après j’ai été paysan, ma carrière c’est paysan ".

GS : " Nous arrivons au terme de notre entretien, et je vois devant moi, deux hommes jeunes et comme tous jeunes, on a des tas de projets, quels sont les vôtres ?… "

YM : " Très jeunes ? … très jeunes ? … peut-être dans un sens... mais vieillissant, quand même !
Nous sommes plus jeunes aujourd’hui que demain. Je voudrais encore revenir à la Baule.
Je suis là, bien présent, dans cette ville, mais j’aimerais revenir à la Baule ne serait-ce que dans vingt-cinq ans.
"


GS : " Nous tâcherons d’y être... "

GS : "Avez-vous un nouveau projet de disque, qu’en pensez-vous personnellement ? "

YM : " Pour le moment ça flotte ! Je n’ai jamais été, personnellement, ni pour, ni contre. L’avenir nous le dira..."

GS : " Je vous remercie, encore, infiniment, de nous avoir accordé cet entretien, c’était passionnant et cela fait plaisir de voir des personnages qui ont un passé, toute une culture et qui sont si ouverts sur cette Bretagne d’aujourd’hui…"

YM : " Je vous dirai quelque chose :
Ca va faire 47 ans bientôt, qu’on a démarré, mais on s’était, à ce moment-là : jamais on aurait pensé que l’on ferait le chemin que l’on a fait !… Dans ce temps-là, je n’aurai jamais pensé que l’on viendrait chanter à La Baule.
"

GS : " Et que l’on se retrouverait autour de ce micro…"

YM : " On ne pouvait pas imaginer, le soir du 25 novembre 1958 quel était le chemin qu’on a pris..."


GS : " Il n’y avait pas un 4ème frère qui a chanté avec vous…"

YM : " Si, si on a chanté à 4..."


GS : " Et je crois que votre maman a même chanté avec vous "

YM : " Maman a chanté avec nous, oui, actuellement le frère aîné qui n’est pas là, a chanté avec la mère..."

GS : " Ils ont chanté, en duo ? "

YM : " On a chanté en duos… « deux fois duos » !… les deux aînés, et nous deux !..."


GS : " C’est tout une « troupe Morvan », alors ? "

YM : " C’est un petit commando !..."

GS : " C’est un beau commando, moi je vous dirais, simplement, pour conclure, quelques mots en Breton car je ne le parle pas « Trugarez vras ».
Merci à tous les deux ! ".


Culture et Celtie remercie :
Gérard JOSSO, vice Président du Pardon de la Baule, qui a bien voulu coordonner notre rencontre avec les Fréres MORVAN.
Anny MAURUSSANE pour son habile et respectueuse transcription de propos oraux destinés à une version textuelle.

© Culture et Celtie

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