Page sonorisée |
DENEZ "Ur mor a zaeloù - Une mer de larmes". |
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Elle fait intrinsèquement, nombreux diraient « endémiquement », partie intégrante du répertoire du chant traditionnel et de mémoire, en Bretagne. Ce chant si particulier semble avoir, entre autre, été crée pour exorciser les appréhensions que tout être ressent face à son ultime et inévitable passage vers l’autre monde. |
Vous avez, bien évidemment, reconnu les principales caractéristique de cet ancestrale expression chantée venue des premiers âges chrétiens et druidiques, lorsque les bardes gallois marièrent leurs chants à ceux des bardes d’Armorique… il s’agit, bien sûr, de la gwerz ! Chant tragique, complainte, litanie incantatoire ; comment peut-on, expliciter, au mieux, le mot gwerz qui reste un substantif assez intraduisible, comme c’est le cas pour le flamenco, le fado ou le blues ? En tous cas, aux côtés du Kan ha diskan, de la world music, de la chanson bretonne, la gwerz demeure, depuis des années, une expression de prédilection, magnifiquement incarnée par l’exceptionnelle et si prenante voix du chanteur poète nord- finistérien devenu, trégorrois, Denez PRIGENT, dit, depuis la parution, en avril 2015, de son opus studio « An enchanting garden - Ul liorzh vurzhudus - Un jardin enchanteur », tout simplement, plus intimement… DENEZ ! Retournant aux fondatrices origines de son art, DENEZ ose, ici, un album entièrement consacré à la gwerz, au travers d’un programme de 10 titres. A mi-parcours du disque, DENEZ y agrège deux de ses remarquables compositions, texte et mélodie, nous devrions, plutôt dire, deux poèmes chantés, avec, pour la première fois, recherchant des voix d’accompagnement angéliques, celles des enfants de la Maîtrise de Saint-Brieuc, talentueux chœur qui intervient, également, nous le verrons, au cours de la 9ème pièce du programme. Très pertinemment et fort poétiquement titré, « Ur mor a zaeloù - Une mer de larmes », voici le 12ème album de DENEZ, enregistré, dans les conditions du direct avec, généralement, des captations réalisées en une seule prise, dans les Côtes d’Armor, en pays du Trégor, précisément, dans l’église de Saint-Brandan de Lanvellec, édifice sacré de la commune où réside l’artiste. Celle-ci est située entre Plouaret et Plestin-les-Grèves, non loin du Vieux Marché, terre de la célèbre et iconique cultivatrice poétesse bretonne, Anjela DUVAL. Cet opus est un quasi-retour mémoriel sur les jeunes années de DENEZ lorsqu’il chantait, a cappella, dans les chapelles, ces endroits chargés d'histoire, ces lieux sacrés baignés d'énergie positive où le silence s'impose pour mieux laisser, naturellement, réverbérer sous les voûtes granitiques, les chants qui s’élèvent vers l’au-delà, et à fortiori, par la voix unique et vibrante de DENEZ. Pour façonner un écrin musical à cet exceptionnel bijou vocal qui, sous de multiples couleurs bretonnes, celtiques, mais toujours universelles, nous, stricto-sensu… « enchante » depuis tant d’années, le passionnel chantre armoricain, au chant lead, s’est entouré d’orfèvres de la mélodie et du jeu instrumental. Après avoir, précocement et périodiquement, fusionné des sonorités électroniques avec ses compositions, pour cet enregistrement qui, de la scène au disque, se révèle comme le prolongement, l'aboutissement de concerts donnés dans des lieux sacrés, DENEZ a choisi d’être accompagné sobrement, mais de quelle haute volée, par une instrumentation acoustique. C’est ainsi que : Dans cette même configuration de pupitres, cette formation existait déjà, puisque, avant cet enregistrement, DENEZ s’était produit, une dizaine de fois, dans différentes cathédrales, comme à Tréguier et à Quimper, ou dans des lieux sacrés, tel qu’en l'église de Lanvellec. Sur trois pièces, les angéliques tessitures naissant de la Maitrise de Saint-Brieuc, placée sous la direction de Goulven AIRAULT, donnant nouvel écho ou enrobant le chant sur nappes instrumentales, portent aux nues divines, mais sans nulle emphatique démesure… « La voix » ; celle de « l’ensorceleur Cantador armoricain ». Une autre grande première : L’interprétation du plus connu des « blues bretons », le fort célèbre « Marv ma mestrez - Ma bien aimée est morte », inspiré du répertoire des Sœurs GOADEC, dont pourtant, on ne possède aucun enregistrement de la part du référent treffrinois trio de chanteuses traditionnelles et que DENEZ chante pour la première fois, plaçant même, en ouverture de l’opus, cette magnifique gwerz. Allègrement introduit au violon, suit « Ar bugel koar - L’enfant de cire ». Comparé au premier titre, sa plus alerte mélodie est ponctuée par les virevoltantes envolées du saxophone soprano, écrites et jouées par Cyrille BONNEAU qui entraîne dans ses spires quelque peu dansantes, le bandonéon de Jean-Baptiste HENRY, sur les nappes du violoncelle de Mathilde CHAUVEL. Tiré du répertoire des Sœurs GOADEC qui l’avaient enregistré chez Keltia musique, en 1978, provenant de Carhaix-Plouguer, voici « Ar Plac'h div wech eurejet - La fille deux fois mariée ». Si, comme nous l‘avons notifié, précédemment, les gwerzioù peuvent évoquer des faits intimes, de proximité, elles racontent, par ailleurs, des événements tragiques qui touchent, comme pour les épidémies, de larges communautés. |
Langolen hag ar Faoued Ur barzh santel a vez kavet Hag an Tad Rasian anvet .../... |
La peste est partie d'Elliant Mais non pas sans fournée Elle a emporté sept mille cent âmes .../... |
Le duduk de Cyrile dialogue, puis s’insère avec entêtement dans le chant de DENEZ, semblant personnaliser cette tenace et mortelle intrusion, tandis que le bandonéon paraît, en syncopant sa mélodie, tenter de lutter contre ce fléau qui progresse inexorablement, évolution traduite par la permanente et croissante ligne de cordes. L'artiste l’avait, aussi, enregistré sur son premier album « Ar gouriz koar » ; après une mélancolique introduction au saxophone soprano solo, DENEZ nous propose, ici, une nouvelle version d’« Iwan GAMUS ». …/… Nous ne sortons pas indemnes de cette écoute, mais Dieu que c’est beau et prenant ! |
DENEZ, Cyrille Bonneau, Mathilde Chauvel et Jonathan Dour © Photo Alexandre Kozel |
Si, jusqu’alors, tous les chants sus-évoqués, sont, paroles et musiques, des traditionnels, certes arrangés, collégialement par les cinq artistes et, ceci dans un parfait esprit collectif qui confère à la réalisation finale une idée de groupe, les plages 6 et 7 nous proposent les deux compositions, textes et mélodies, signés de DENEZ. Magnifiquement porté par les angéliques voix du jeune chœur briochin, ponctué par la fervente chaleur du duduk, puis du saxophone soprano de Cyrile BONNEAU évoluant sur une discrète ligne de cordes, « Kanañ ar ran - Je chante » apparaît comme une véritable profession de foi. |
N'eus forzh an avel hag ar glav Leskiñ a ra ma zan atav Skediñ a ra ma mouezh bepred N'eus ket un deiz na ganfen ket N'eus forzh tourmantoù ar vuhez Kanañ a ran ar garantez ! |
Peu importent le vent et la pluie Mon feu brûle toujours Ma voix brille encore Il n'est pas un jour sans que je chante Peu importent les tourments de la vie Je chante l'amour ! |
Après les ténébreux instants vécus en première partie de programme, semblable au rayonnement céleste qui transperce les colorations d’un vitrail, cette plus que magnifique composition envoie une salvatrice, libératoire, résiliente lumière, agissant comme un antidote à tous nos maux. Mais, en piste 7, revenons malheureusement, à la bien trop fréquemment dramatique épopée de l’humanité, notamment, théâtre de famines, dramatique thème qui affecte, particulièrement, le chanteur. |
Bozhe velykyi, yedynyi, Nam Ukrainu khrany, Voli i svitu prominniam, Ty yii osiny. |
Seigneur, ô grand et tout puissant Protégez notre Ukraine bien aimée Bénissez-là de vos lumières et libertés Avec vos saints rayons luisants. |
La « Prière pour l‘Ukraine » a acquis une importance nationale, lorsqu'elle été interprétée par des chœurs de masse pendant la guerre d'indépendance ukrainienne (1917 à 1921), devenant, en quelque sorte, un hymne spirituel officiel. Le livret joint à « Ur mor a zaeloù - Une mer de larmes » présente l’intégralité du texte, avec l’introduction chorale, rédigée en cyrillique et en breton. Pour « Soudard ar Fur - Soldat Le Fur », puisé à la source d’Yvon GOURMELON, cordes frottées et pincées, bandonéon plus en « avant-scène », accompagnent, dans un léger balancement mélodique, la voix devenue plus narrative qu’incantatoire de DENEZ qui chante l’histoire du retour de la guerre d’un soldat constatant que, pendant son absence, sa bien aimée s’est mariée. Puis, voici le, ô combien, célèbre chant « E ti Eliza » ! Dernière piste du Compact-Disc, voici le « coup… de grâce » ! Portée vers l’au-delà par la réverbération naturelle de l’église Saint-Brandan, DENEZ nous en livre, ici, une vibrante version surnaturelle… parce que divine ! Après, trait d’union entre vie et mort, toutes ces profondeurs sus-évoquées, il nous semble bien plat, presque dérisoire et inutile, de vous inciter à, bien évidemment, vous procurer, pour votre plaisir le plus immédiat, ce fort substantiel et brillant opus, artistiquement et techniquement, parfaitement abouti. Et dire que la gwerz est une tradition que l'on a hérité des bardes qui ne souhaitaient pas que l'on écrive leurs textes et qui transmettaient, oralement, les poèmes, avant qu'ils ne passent dans le milieu populaire. A contrario, en ces présents temps, avec de tels fondamentaux et exceptionnels disques, non seulement, on écrit les textes sur le livret adjoint, on grave le chant et les notes sur le miroir d’une galette numérique, pour qu’ils, souhaitons-le vivement, paradoxe contemporain, se pérennisent et se transmettent au travers de nos temps qui manquent, souvent, d’enracinement et d’essentiel mémoriel ou spirituel. Fort salutaire pour l’ouïe et l’âme, « Ur mor a zaeloù - Une mer de larmes », vous reconnaîtrez aisément le Compact-Disc par, en première de jaquette, une photo de DENEZ, particulièrement expressive, explicite, intimement réalisée devant l’ossuaire de Lanvellec, par Alexandre KOZEL, n’est pas un opus étroitement morbide, catastrophiste, mais au contraire, un recueil lumineux, libératoire, résilient ; souvenez-vous, en plage 6, « Kanañ ar ran - Je chante » ! Pour plus intensément vivre, parfois revivre, DENEZ, ne semble-t-il pas nous rappeler qu’il faut regarder la mort en face, en la recontextualisant… dans la vie. Avec la voix de DENEZ et sa puissance émotionnelle, le dramatique devient esthétique, abordable, maîtrisable et ce nouvel album est, au sens racinaire du grec ancien, enthousiasmant, puisque d’inspiration ou possession divine, il nous enflamme, nous galvanise. Gérard SIMON |
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Nous vous proposons d'écouter 3 extraits de l'album : "Bosenn eliant / La peste d'Elliant", "Kanañ a ran / Je chante" et "Deuit ganin / Venez avec moi" - (09:04). |
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CD de DENEZ- "Ur mor a zaeloù - Une mer de larmes".
Parution : 21 octobre 2022. Production : Arsenal productions - www.arsenal-prod.com. Distribution : COOP BREIZH - www.coop-breizh.fr. Réf : 4016483 |
Les titres du CD "Ur mor a zaeloù - Une mer de larmes". 01 - Marv ma mestrez / Ma bien aimée est morte - 05:25. Durée totale : 59:04. |
© Culture et Celtie |
Illustration sonore de la page : DENEZ - "Ur mor a zaloù - Une mer de larmes". Marv ma mestrez / Ma bien aimée est morte - 01:15. Le site officiel de DENEZ : www.denezprigent.com |