Alan Stivell, un musicien, une oeuvre...
L'article...

Une autre lecture du livre "Telenn, la harpe bretonne...."


Nous ne connaissions pas Alan Stivell sous "l'étiquette" d'écrivain mais c'est pourtant avec talent qu'il a co-écrit avec un autre passionné, Jean-Noël Verdier, ce très bel ouvrage sur son instrument emblématique : "Telenn, la harpe bretonne".

Telenn, ce nom mystérieux d'origine brittonique à la consonance grecque qui, pour reprendre les mots d'introduction d'Alan : "évoque des traversées jusqu'aux Cyclades ou aux Monts Thelos du Proche-Orient, là d'où la harpe semble être partie à la conquête de l'ouest, même si d'autres hypothèses orientent vers d'autres routes, d'autres portes grandes ouvertes sur des réels rêvés ou seulement de beaux rêves".

Pourquoi ne l'a-t-il pas écrit plus tôt, lui qui l'aime et la pratique depuis plus de cinquante ans ?
Parce que, comme il le dit lui-même : "il était plus urgent de la faire résonner que de raisonner sur elle".

Ce livre s'articule en deux parties.

La première est assez technique mais en même temps très accessible à un lecteur non initié qui ne sera pas égaré par un langage quasi-universitaire. Ce sujet fait l'objet d'autres publications, que ce soit sur l'histoire de l'instrument ou sur celle des pays celtiques. Elles figurent dans la bibliographie de ces passionnés qui les ont lus pour nous et nous en livrent ici seulement quelques extraits, accompagnés de leur propre synthèse et réflexion. C'est ainsi beaucoup plus accessible.
L'ensemble est également abondamment illustré de magnifiques photos et dessins, notamment des clichés pris dans divers édifices religieux attestant l'étendue de la harpe en Bretagne et ailleurs.

Les auteurs ont effectué beaucoup de recherches et saluons au passage le "travail de bénédictin" accompli par Jean-Noël Verdier.

Animation GS d'après la couverture du livre publié aux Editions du Télégramme.
Cliché de Nelly Aupy

Dans la seconde partie : "Les chemins du retour", c'est d'avantage Alan que Jean-Noël qui parle car il nous expose l'œuvre de son père, cet homme fabuleux qui a engendré "l'esclave de la Telenn", amusante expression d'Alan qui semble plutôt bien se porter pour un esclave !
Incroyable en effet de lire tout ce que ce non-professionnel de la lutherie a pu créer à partir de ses recherches. Car ses créations ne se sont pas limitées à la seule "Telenn gentañ", il en a réalisées bien d'autres ainsi que divers instruments. Tout ceci en plus de son travail de traducteur, dans un petit appartement parisien de la taille d'un studio et avec les moyens de l'époque (avril 1952).
Imaginez : devoir chaque soir débarrasser la table du repas familial pour la transformer en établi… Les copeaux de bois qui devaient voler partout… et ce petit garçon, rêvant devant le mystérieux travail de son père… De tout cela, Alan en parle avec beaucoup d'émotion, de sensibilité et de poésie : "Elle ressemblait beaucoup à un bateau (et ceci participe à l'idée de harpe-vaisseau frayant une route aventureuse, sans but vraiment assuré à travers l'élément liquide, hors du monde solide et rationnel, chemin du bébé dans le ventre maternel), sans oublier que les cordes rappellent les cordages"... C'est très beau.
Très belles aussi ces ornementations sculptées sur la harpe dont les détails ont été moultement photographiés : "puis les sculptures l'habillèrent entièrement, ressemblant à un livre d'art d'une époque lointaine et chargée de mystère (...) un soin du détail, une maîtrise du crayon et du ciseau qui forçaient l'admiration". On imagine les heures de travail que cela a dû représenter!
Les spectateurs - dont je fais partie - qui ont eu le privilège de l'admirer de très près sur scène par le passé, ne peuvent qu'être unanimes : c'est une pure merveille, autant à écouter qu'à regarder.
Alan évoque ensuite avec ferveur ses premiers cours de harpe et rend hommage à Denise Mégevand, "une harpiste pédagogue pas tout à fait comme les autres", "un surplus de maternité et de féminité dans un monde dramatiquement masculin" qui a beaucoup compté dans sa carrière naissante.

Par la suite, Alan parlera brièvement de la suite de son parcours, surtout côté harpe bien sûr, avec celles qui ont jalonné ses différentes tournées, ses rêves réalisés, et à venir, de harpes électriques, technologiques et futuristes.

Il présente quelques luthiers du monde entier qui ont prolongé et enrichit ce travail de renaissance, ceux qui ont travaillé avec lui, les plus récents et les plus marquants étant Léo Goas : "qui n'a pas toujours béni leur rencontre" et la maison Camac de Nantes.

Il parle aussi de quelques harpistes plus ou moins connus, accomplissant eux aussi une belle carrière : Mariannig Larc'hantec, Kristen Noguès, les frères Quéfféléant du groupe An Triskell, Myrddhin… "D'autres pousses, d'autres arbres, d'autres harpistes en piste qui se sont voués à la Telenn".


Animation GS d'après photos de MLA

Pour conclure, je dirai que cet ouvrage ne se lit pas comme un roman in-extenso de la première à la dernière page, mais se déguste plutôt par petites bouchées picorées d'un bout à l'autre du livre par allers-retours successifs, au fur et à mesure que ce forment les questions ou réflexions sur l'instrument, son histoire, l'histoire des pays celtes ou celle de la carrière du musicien.

A ce jour, je n'ai toujours pas fini le tour du livre et découvre encore de nouveaux détails, ignorés lors d'une précédente lecture. Très bel ouvrage donc pour un instrument qui a encore de beaux et prometteurs jours devant lui, tels les mots de conclusion d'Alan : "Pour la Bretagne et sa Telenn (evit harpañ Breizh hag e zelenn), la sève monte dans le saule, pour des demains et des après"…

Article de Mireille




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