Le vaisseau est là, baigné de lumières
bleues et vertes. Respectivement couleurs de l'Armor (pays de la mer)
et de l'Argoat (pays des bois)... elles sont, à elles seules,
symboles de la Bretagne...
Ces taches colorées se mêlent même parfois pour
nous rappeler ce «glaz», ce bleu-vert électrique
que l'on peut observer, notamment, sur une mer... ensoleillée...
de la baie de Douarnenez... il ne pleut jamais en Bretagne !
Sur le pont, dominant les autres instruments, deux harpes majestueuses...
L'une d'elles, plus près de nous, comme la barre d'un navire
derrière laquelle le «pacha» tracera sa route...
l'autre, translucide, celle de la tournée 1 Douar, au fond,
en figure de proue... au cas où ?
L'équipage est paré : à bâbord, Johan
Berg Dalgaard est aux claviers, non loin de lui, légèrement
excentré Latabi Diouani est à la batterie et aux percussions,
à tribord Arnaud Ciapolino est à la flûte traversière...et
aux autres flûtes.
Un thème musical velouté joué par les trois matelots
vient vers nous comme une vague sur la grève... ces effluves
musicales nous envoûtent d'entrée... C'est le début
de cette croisière mystique...
Puis, à peine en situation, les trois «servants»
s'effacent laissant place au Maître qui fait son entrée
en rejoignant sereinement sa harpe «prototype»...
Alan Stivell est devant nous, sur-chemise de soie bleue, rappel de
la tournée «Back to Breizh», pantalon et tee-shirt
noirs... il prononce quelques mots nous indiquant que ce concert donné
dans le cadre du 50ème anniversaire du renouveau de la harpe
celtique fera la part belle à l'instrument fétiche.
Alan va d'ailleurs, au cours de cette soirée, outre nous faire
voyager en Bretagne, Ecosse, Irlande ou... ailleurs, nous ouvrir le
livre de sa vie puisqu'il va puiser abondamment dans les titres de
son dernier album «Au delà des mots».
Ce 21ème magnifique album «est tout simplement l'histoire
et les rêves de sa vie»...
Le premier titre joué à la harpe solo sera «Eliz
Iza», une chanson traditionnelle des montagnes bretonnes...
Oh, bien-sur, immédiatement, nous pensons aux soeurs Goadec
qu'Alan vénère particulièrement. Comment ne pas
avoir en mémoire l'enregistrement où, en 1973, Alan
Stivell accompagne, au festival de Kertalg, Maryvonne, Thasie et Eugénie...
En quelques mots, Alan nous en parle avec affection de ces trois dames
qui ont marqué son parcours musical ! Elles sont avec lui,
ce soir... elles sont aussi avec nous...
Des titres de l'album «renaissance de la harpe celtique»
s'alterneront avec ceux d'«au delà des mots»...
trente ans les séparent... trente ans les réunissent
dans une même inspiration...
Puis, plus tard, des faisceaux de lumière violette viendront,
en fond de scène, se mélanger au bleu-vert, au vert-bleu...
au «glaz» !
La harpe d'Alan, caressée, au devant de la scène, par
un pinceau de lumière orangée, se parera d'or... ce
sera «Goltraidhe»... quand «les gammes de la tristesse»
font évoquer à Alan les moments importants d'une vie
comme «la mort d'un père»... il est également
bien présent ce père de génie qui, en 1953, offre
à Alan le cadeau de sa vie... une harpe construite par ses
mains... mais plus que l'objet... un son qu'Alan fera, tout au long
de son oeuvre, sans cesse, évoluer...
De la «harpe atlantique» à «la harpe et l'enfant»
en empruntant «la route de l'étain», nous nous
arrêterons à «Gourin-Pontivy» villes d'origine
des parents d'Alan.
Quelque soit l'étape, nous ressentirons profondément
cette belle histoire d'amour qu'Alan nous fait partager depuis si
longtemps.
Si la harpe reste l'instrument majeur, Alan Stivell est musicalement
pluriel... comment oublier ces années passées en première
ligne du bagad Bleimor...
Elle passe, maintenant, devant nous, cette formation typiquement bretonne,
on reconnaît même son Penn-Soner, mais si, vous savez,
Alan Cochevelou !...
Pourtant absents physiquement de la scène, on distingue même
très bien binious et
bombardes ! c'est la magie d'une transcription pleinement réussie
!
Quand aux batteries qui ferment la marche, le flûtiste, ayant
abandonné provisoirement son instrument pour la caisse écossaise,
nous les fera revivre au cur d'un solo durant lequel il se «mesurera»
même, dans un second temps, avec le batteur !
Un très grand moment, l'une des clefs de voûte de ce
récital !
Loin de moi l'idée d'énumérer chronologiquement
les titres interprétés par notre bel artiste, cela nuirait
à la magie... et puis tout est tellement cohérent, indivisible.
«Brian Boru» viendra, ensuite, planter son étendard
et son épée en terre, pour une paix retrouvée
en Ulster»
magnifique introduction à la harpe,
pour un développement musical central extrêmement délié...
et la voix envoûtante de Stivell.
Alan se mettra, une nouvelle fois, en colère contre les «souilleurs
de la mer» en interprétant «Ceux qui sèment
la mort»... il les fera crier les goélands englués
dans le pétrole visqueux de l'Erika, lorsqu'il raclera de ses
doigts de haut en bas, puis de bas en haut, les cordes de sa harpe...
En plein accord avec lui, scandalisés, nous reprendrons le
refrain «plutôt la mort que la souillure, tel était
le slogan, au pays d'hermine pure, au pays des goélands».
Puis nous ferons retomber nos griefs en esquissant quelques pas de
danse, lorsqu'Alan jouera un endiablé «Métig»
revisité, mais ne trahissant aucunement les racines traditionnelles
de cette variété de gavottes des montagnes que l'on
nomme en Bretagne, Dañs-fisel.
Ce voyage sera passion, émotion, évasion, même
fête... «Une fête universelle»... N'est-ce
pas l'extrait de la symphonie celtique qu'Alan nous proposera en première
conclusion de sa prestation ?
Mais
il faudra bien regagner le port et ramener tout le monde à
quai.
Pour que le retour fasse moins mal, Alan puisera alors dans le répertoire
connu de tous, la «suite sudarmoricaine», chantée
en Français, puis en Breton, «tri martolod», où
les «la lon la, la la la la» et les «lalalalaléno»
seront clamés en chur par une salle enthousiaste qui
semble soudainement chanter très fort pour avoir moins peur
!...
Des musiciens talentueux et efficaces, des lumières magiques,
un son à la hauteur de la pureté des instruments, un
Alan Stivell particulièrement inspiré et précis,
c'était à Vitry sur Seine... à Vitry sur Mer...
je ne sais pas, je ne sais plus... c'était très loin
d'ici...
Merci MONSIEUR Stivell pour cette croisière magique où
la beauté était au rendez-vous !
Kenavo, a wech'all !
Reportage Gérard SIMON