Alan Stivell, un musicien, une oeuvre...
Le reportage...

3 Août 1980
Première de la Symphonie Celtique
au Festival Interceltique de Lorient

Le Festival Interceltique de Lorient est devenu un événement incontournable pour ceux qui cherchent à se charmer les yeux et les oreilles de celtitude.
La soirée est particulièrement exceptionnelle cette année et Jean-Pierre Richard, secrétaire du Comité du Festival peut être fier, il accueille Alan Stivell qui va interpréter la toute première de sa "Symphonie Celtique" au Parc du Moustoir, grand stade qui reçoit plus habituellement les compétitions sportives.
La petite histoire raconte que Jean-Pierre Richard et Alan Stivell auraient "fomenté" le projet voici deux ans, autour d'un café-croissant partagé dans un bar ! On refait souvent le monde dans les bistros mais parfois, cela vaut vraiment le coup...

21 h 00 : le "Moustoir" commence à se remplir...
Les deux tribunes du stade se font face. L'une d'elle, servant de scène, est occupée par les instruments qui attendent leurs interprètes au milieu d' un gigantesque rempart de baffles. L'autre tribune accueille un groupe de spectateurs - j'en fais partie et grand bien m'en a pris, vous comprendrez, plus loin, pourquoi - tandis que le terrain reçoit la majeure partie du public.
Comme souvent dans ces grands rassemblements, il est très amusant d'observer l'organisation irréprochable des festivaliers. Certains campent autour du stade, ils débarquent avec tout leur attirail de camping pour s'installer confortablement : sac de couchage, siège en toile, glacière... D'autres sont arrivés en famille avec couffin, poussette et tout le nécessaire pour pouponner !
Nous avons une heure à patienter avant que le spectacle ne commence, alors on s'occupe comme on peut, on boit, on mange, on discute. Un membre du comité de soutien au projet d'ouverture d'une école Diwan à Lorient, en profite pour se promener dans les rangs avec une petite boîte. Richissime idée, elle sera bien remplie ce soir. Vers 22 h 00, une voix annonce par la sonorisation que le spectacle va commencer, il ne fait pas encore tout à fait nuit.

La scène se remplit à son tour...
Que de monde ! S'installent tour à tour : l'orchestre symphonique de Bretagne, une chorale, une formation rock, plusieurs sonneurs de bagadoù qui se mettent un peu en retrait car ils ne vont pas intervenir immédiatement dans l'œuvre et bien sûr... Alan Stivell.
Il est tout de blanc vêtu et arbore son grand triskell autour du cou, inséparable symbole qui l'accompagne dans tous ses concerts. On devine, même s'il a l'habitude des grandes foules, qu'il doit avoir un peu le trac ce soir : il a mis vingt-et-un ans à construire cette Symphonie qu'il a fait paraître sur disque, il y a quelques mois et pour l'accompagner, ce soir, contrairement à l'enregistrement, ce ne sont pas soixante-quinze, mais près de trois cents musiciens qui sont à ses côtés.
Devant lui se masse un public de dix mille personnes...

L'entrée dans le "premier cercle", premier mouvement de la symphonie, est différente de celle du disque, ce sont les violons qui entament une sorte de psalmodie sur quelques notes qu'Alan prolonge à la harpe puis il entame son récitatif en tibétain-sanskrit-breton... fusion de langues qu'il a si bien su mettre en avant dans cette œuvre, entrée en matière qui invite l'auditeur à une méditation intérieure.
En voici quelques bribes, traduites :

"Fermés sont mes yeux
Je marche au-delà de mes organes
Au-delà de mes cellules
Avant ma naissance (...)
A travers les trois mondes
A travers mes trois formes actuelles (...).
Tout ici est vrai et illusion
Le passé est le futur
Le futur est le passé.
Il est dangereux et nécessaire d'aller vers toi
Malgré les vents contraires (...) " .

Il s'en suit une introspection, un retour en arrière, face à un passé trop dur à supporter.

"Je retourne vers vous
Ventre de ma mère
Terre de nos pères (...)
Trop dure est ma nostalgie
Je retourne vers vous" .

Puis Alan s'interroge en Algonquin au bord du lac :

"Lac profond que j'interroge
Lac profond en dehors du temps où se mire ce que l'on voit
Ce qu'on ne peut voir (...)
Toi qui en sait les joies et les malheurs
Aide-moi à supporter l'inéluctable"...

Tout ceci devrait donc plonger l'auditoire dans une profonde méditation mais, malheureusement, pour l'instant, cela ne"fonctionne pas chez tout le monde" : certains sont distraits, continuent à discuter, circulent, pour ceux qui sont sur la pelouse, en tout sens.. Il est vrai que les conditions extérieures ne sont peut-être pas idéales : il ne fait pas encore nuit, la sono accuse certains dysfonctionnements, le "rendu" sur un terrain de sport n'est pas celui obtenu dans une église ou dans une salle de théâtre... Mais soyons indulgents ! C'est la toute première fois qu'un tel événement se produit et avec un minimum d'attention et de compréhension, il y a déjà là tout lieu de rentrer dans le rêve. Ce comportement gêne plusieurs d'entre-nous mais nous "faisons avec" en espérant que cela ne trouble pas Alan dans la suite de son interprétation.

Le premier mouvement se poursuit malgré tout, sous la pression de l'orchestre symphonique et des chœurs avec l'évocation de l'enseignement druidique et l'interrogation sur une finalité inéluctable, qui fait peur :

"A la fin il y aura toi trou noir de l'Infini
Et moi en toi Déesse suprême (...)
Très sages étaient mes pères les druides
Très sages ils étaient ceux de l'autre temps
Qui savaient l'inéluctable destruction Qui précède l'inéluctable printemps..."

Le ton se fait pressant, angoissant, Alan, à la cornemuse "fusionne" avec les chœurs qui annoncent le chaos, l'atmosphère se tend comme une corde de harpe qui s'apprête à se briser.
Même le ciel participe à cette ambiance, alors que le temps était jusqu'à présent très clément, de gros nuages lourds et menaçants s'amoncellent dans la nuit qui commence à tomber...

"Tous les chemins mènent au chaos
Tous les chemins mènent à la dissolution (...) Car telle est la loi de l'univers..."
(texte Quetchua).

Vient le moment où intervient le groupe, plus "électrique".
Tout doit être brisé, détruit, plus rien ne doit rester. Alors les guitares électriques et la batterie "cassent", à grands renforts de décibels. Même les petites imperfections de réglage de balance concourent finalement à rendre cet effet de guerre encore plus apocalyptique !
Dans le public, l'attention s'est recentrée les spectateurs commencent à être plus réceptifs et attentifs. Ils ponctuent la fin de ce premier mouvement de chaleureux applaudissements.

Nous rentrons maintenant dans le second cercle...
Tout a été anéanti, il faut reconstruire un monde neuf. L'orchestre symphonique domine avec des influences qui rappellent la musique de Stravinski ou de Malher, l'ambiance est très vibratoire, Alan ponctue le tout avec quelques accords de harpe puis chante en Sanskrit :

"Univers je t'entends
J'entends tes vibrations
Toutes me touchent
Moi ayant plongé par les vagues volontairement emporté
Ne résistant pas
Vers l'harmonie de l'ordre cosmique".

Avec l'aide d'un ensemble de flûtes nous embarquons ensuite pour la queste d'une île où tout va pourvoir se reconstruire.
Des jeux de lumière balayent l'ensemble de spirales colorées, le texte, en breton, est très porteur d'espoir :

"Il est possible de se dépasser
Il est possible d'atteindre la vraie Liberté
Et tout de suite reconstruisons Keltia
Et vivons comme des Bretons libres, comme des gens libres
Il suffit de croire, et nous aurons la santé et la force
Pour aller là-bas où nos rêves vivent
Il est possible de marcher vers la cité de perfection".

(texte en anglais):
"Minorités de ce monde, croyez-le tous
Minorités, résistez et vivez
Chacun de vous, mes amis, est riche comme l'Amérique
Et plus fort de l'ours de Sibérie si vous libérez votre esprit".

Les deux textes s'alternent successivement et le ton général s'amplifie, se remplit d'allégresse.
Ça y est, elle rayonne, elle vibre de toute sa force, de toute son âme cette Symphonie !...

Tout semble se mettre à rayonner sous l'averse des notes... une petite averse de pluie bien pénétrante bien que peu méchante, suffit à chasser déjà quelques dizaines de spectateurs du terrain. Que c'est dommage pour eux, ils vont rater le meilleur !
Les "organisés" utilisent leurs sacs de couchage en guise de parapluie. Espérons qu'ils en ont prévu un autre pour aller se coucher tout à l'heure !
Stoïques, Alan et ses musiciens continuent à jouer sous la pluie : la harpe est trempée, les notes de la partition du chef d'orchestre s'effacent sous ses yeux, le contraignant à diriger l'ensemble de mémoire... Peu importe, ils sont arrivés à la cité rayonnante qui annonce le troisième mouvement.

Le débarquement se fait sur "Inis Gwenva", le paradis des anciens bretons, "Tir na nOg" , la terre de l'éternelle jeunesse, le paradis des anciens Gaëls, c'est l'émerveillement (texte Irlandais) :

"Autour de nous, transfigurés, nos proches se trouvaient là
Nous nous sommes envolés jusqu'à la colline verte
L'eau vive de ses rivières nous a purifiés (...)
Tir na nOg Terre de l'éternelle jeunesse
Tir na nOg Terre de perfection
Tir na nOg La cité Rayonnante
Tir na nOg Cœur de tous les univers"...

L'orchestre, les chœurs donnent le maximum d'eux-mêmes, les jeux de lumière continuent à nous couvrir de spirales colorées, nous sommes bien, nous sommes heureux. La pluie s'est déjà calmée. Nous allons, maintenant, pouvoir faire la fête !

"Venez gens de Basse Bretagne et de tous les pays
Danser la danse universelle, la danse du peuple de la Terre"...

(texte breton)

Les bagadoù prennent la relève et accompagnent Alan qui passe successivement de la harpe, à la flûte, de la bombarde, à la cornemuse... Il ne s'arrête pas un instant, quelle énergie !
Le public, à présent, parfaitement conquis, est debout et danse aux rythmes des différentes gavottes et jigs qui s'enchaînent, cette merveilleuse fête s'achève en apothéose sous le feu des bagadoù, ainsi que sur un très beau message d'amour et de respect dévoilant l'extrême générosité de l'artiste qui nous l'offre en breton, pour cadeau pétri d'humanisme…

"Ceux qui ne croyaient qu'à l'homme ceux qui priaient Dieu
Leurs mots ne pouvaient pas dire la Vérité
Chacun avait une partie de vérité, une part d'erreur
Une chose seulement était parfaitement fausse : être au-dessus des autres
Respectons-les en leurs modes, leurs couleurs, leurs langues, leurs coutumes,
Aimons-les, qui que ce soit, pour encore trois cent mille ans".

Reportage Mireille


Animations GS d'après coupures de presse issues de la collection de Mireille.




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