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1er Festival Pop Celtic... KERTALG 72 !

Depuis la fin du XIXème Siècle, la musique bretonne, d’inspiration rurale, a été, plus largement, portée vers de conséquents auditoires, en résonnant au cœur de nombre de fêtes et d’événements plus urbains, souvent dits, folkloriques.
En 1905, Théodore BOTREL crée, à Pont-Aven, la Fête des Fleurs d’ajoncs d’or, précédant de quatre années, la naissance de la Fête des Filets Bleus de Concarneau, un an plus tard, suivi, par le lancement, à Quimper, de la Fête des Reines de Cornouaille, devenue, au fil du temps, Fête de Cornouaille, puis Festival de Cornouaille.

En 1953, un 1er festival Interceltique est organisé, à Brest, par Bodadeg Ar Sonerion (Assemblée des sonneurs), sous le nom de Festival de Cornemuses qui propose, dès son origine, un championnat des bagadoù, qui sera intégré, à partir de 1971, au plus important festival d’Europe, devenu le légendaire Festival Interceltique de Lorient qui puise, précisément, en ce concours, ses initiales fondations.

Le revival des années 1970 se distance de ce folklorisme, parfois réducteur, quelque peu suranné, en prenant, notamment, en compte les aspirations et les goûts d’une jeunesse d’après 1968.


« La fête folklorique glisse très vite au Woodstock celtique, tel le Festival de pop celtique de Kertalg, en août 1972, animé par Alan STIVELL (folk progressif), TRI YANN AN NAONED (folk-song breton), Gweltaz AR FUR (chanteur militant), les sœurs GOADEC (chants traditionnels)… », précisent Roland BECKER et Laure LE GURUN, à la page 160 de leur ouvrage « Musique bretonne » que nous vous présentons sur notre page dédiée à cet excellent et pédagogique livre (Voir).

Après ces divers propos d’introduction, nous comprenons très bien, notamment au travers du novateur, détonnant et déterminant festival de Kertalg, cette translation culturelle qui mute, désormais, du folklore à la tradition vivante et actualisée, de la Bretagne jusqu’à l’interceltisme, des formes musicales autochtones vers une pluralité géographique et d’origines stylistiques ; en fait, tout ce qui a généré, jusqu’à nos jours, ces journées festives et musicales où, d’années en années et progressivement, se sont côtoyés, puis ont de plus en plus, fusionné, le kan a diskan avec le rock, la gwerz avec l’électro, le plinn avec la transe, la gavotte avec le jazz… dans des colorations, souvent plus world-music.

L’organisation du festival de Kertalg s’est donc révélée comme un acte fondateur dans le contexte de cette fondamentale mutation expressive, culturelle.

Alors, presque un demi-siècle après, eh oui !... Pourquoi ne pas évoquer, dans ses grandes lignes, non exhaustives, le souvenir d’un festival qui restera le premier et l'un des plus importants pour l’histoire du mouvement folk celtique et breton et pour son ouverture artistique Interceltique ?

C’est ainsi, qu’ouvert sur le monde, ce 1er Festival pop celtic de Kertalg s’est déroulé, précisément, le dimanche 13 août 1972, en plein air, au cœur du domaine de Kertalg, sis dans un hameau de Moëlan-sur-Mer, commune du sud Finistère abritée dans une ria et située à 12 km de Pont-Aven.

L’initiatrice de cet événement, par ailleurs, présenté par le journaliste et écrivain spécialiste de la chanson, Jacques VASSAL, est Gwenn LE GOARNIG, issue d’une famille qui a été à la pointe du combat pour l'identité bretonne pendant les décennies de l'après Seconde Guerre mondiale. Elle est, alors, productrice de musique bretonne et sera organisatrice des trois éditions du Festival de Kertalg (1972-1973-1974).

Non pas par facilité rédactionnelle, mais pour mieux saisir, ressentir, respecter le contexte sociologique de l’époque, c’est au travers des propos de Gwenn LE GOARNIG, transcrits sur le premier volet interne du triptyque de la pochette qui contient l’album vinyle enregistré en public que nous vous proposons de découvrir les fondements de ce novateur festival.



Gwenn LE GOARNIG - © Photo Dauselt

Gwenn Le GOARNIG présente : 15 heurs de Pop Musique Celtique.

Ce festival est né de l'amitié. Il n'a été possible que par elle. L'idée de rassembler des amis est toujours facile à réaliser parce que plaisante en elle-même. Quand ces amis sont poètes, chanteurs ou musiciens, c'est la fête et il faut en faire profiter tout le monde.

Le Renouveau Celtique est bien parti en Bretagne grâce à nos figures de proue, GLENMOR, Alan STIVELL, Gilles SERVAT et c‘est répondre à un véritable besoin que de présenter aux jeunes des pionniers de cette Renaissance. Il suscitera sans aucun doute d'autres vocations et au fil des ans la tradition musicale et vocale de notre pays se rétablira dans sa plénitude.


La Pop‘ Celtique a de l'avenir chez nous. Tout en explorant des voies nouvelles d‘expression, le fond est emprunté à la tradition ou influencé par elle. Ainsi le maillon brisé se reconstitue reliant ce qui n'aurait, en soi, pas de sens pour notre cœur de Celtes (le pop) à ce qui pourrait être considéré par beaucoup comme suranné (le folklore). Etre de son temps consiste précisément à réussir cette alliance réputée impossible. « Ne tue pas le passé, la nouveauté s'y appuie“ dit un vieux proverbe ».
Certaines plages de ce disque constituent un hommage à la musique irlandaise et mettent en relief l'enthousiasme justifié pour cet art vivant. Les temps dramatiques d'Irlande auront contribué à cette révélation. Puissions-nous y puiser le courage et la ténacité de ce Peuple merveilleux.

Enfin, les résonances outre-Atlantique d‘ HAPPY TRAUM nous apportent la preuve que les irlandais et écossais du Nouveau Monde ont contribué à jeter les bases de la musique Américaine.
En fixant le souvenir de ce 13 août l972, j‘espère répondre aux vœux de beaucoup de ses participants et aussi donner aux absents l‘envie de nous rejoindre cet été pour un nouveau rendez-vous de la fraternité.

Gwenn LE GOARNIG.


N’oublions pas que ce festival pop celtic de Kertalg 72 voguait, aussi, allégrement sur le raz de marée breton et celtique qu’Alan STIVELL venait de provoquer, cinq mois auparavant, en se produisant, le 28 février, sur la scène de l’Olympia de Paris, lors d’une soirée produite par la radio Europe 1, spectacle ayant la particularité d'être diffusé lors de l'émission Musicorama, proposée par Lucien MORISSE, à cette époque, directeur des programmes de la station proche d'un jeune auditoire.
La Bretagne était… à l'Olympia et derrière la radio !... In fine, 2 000 000 de disques vendus !

C’est ainsi que le nom du, déjà, très reconnu harpiste et chanteur breton, en lettres majeures sur l’alléchante affiche du festival de Kertalg, était, de facto, au cœur de cette journée musicale qui répondait à ses propres choix musicaux, identitaires et culturels assumés.
Là, aussi, par souci d’authenticité, comme la bande son qui ferait partie d’un reportage, relisons les explicites et toniques propos d’Alan figurant sur le revers de l’un des pans de la pochette de l’album vinyle.
Un éclairage averti sur la mutation qui s’emparait, alors, de la musique avec une influence celtique de plus en plus présente.


Le festival de Kertalg !

Ce fut pour moi un vieux rêve devenu réalité.
A la fin des années 50, le bouleversement de la musique de variétés basculant des influences prédominantes du jazz et de la musique classique dégénérés et surtout de la musique latine (cha cha-cha, tango, etc.), vers une musique américaine se retournant vers un fond plus authentique, plus populaire, plus naturel (le rock, le blues, le folk-song), tout ça m'avait fait parier que pour des raisons presque physiques, l‘influence celtique allait être de plus en plus grande ou, tout au moins, de plus en plus accessible. En effet, la musique gaélique (irlandaise - Ecossaise) est la racine la plus importante du folklore blanc américain (sans compter son influence sur le negro-spiritual et ses relations psycho-musicales avec le blues).

D‘autre part, la civilisation celtique fait partie de l'inconscient collectif des Européens en général, vu que la majeure partie de l‘Europe a été de culture celtique pendant prés de 1.000 ans. La colonisation gréco-latine puis germano-latine s'est imposée comme un sédiment lourd mais superficiel.

Alan STIVELL - © Photo J.F. Puthod - J.P. Coussault

A chaque révolte contre la culture "classique", contre l'académisme (culture indisposée par l'aristo bourgeoisie), on peut entrevoir le retour de sentiments très proches de l’âme celtique. C‘est vrai pour le Moyen-âge, le Romantisme, le Surréalisme, le mouvement Pop. Lors du grand déferlement Folk américain en Europe (1965) - Bob Dylan, Joan Baez - il fallait absolument faire quelque chose. Ce quelque chose avait été plus ou moins tenté déjà (alors que je jouais de la harpe en culottes courtes) par Pierre-Yves MOIGN, par les TRI BINTIG, les NAMNEDIZ, etc, mais ils ne comprenaient pas et n‘appartenaient pas vraiment à notre génération.

C‘est, pour une part importante, l'évolution de la Pop musique (ayant rendu les jeunes plus libres, plus intelligents, plus avides de neuf que de merde imposée) qui a permis mon succès, et qui a rendu possible le rêve (il n‘y a pas si longtemps utopique) d'un festival Pop‘ Celtique rassemblant plusieurs milliers de jeunes.

Alan STIVELL


« Figure de proue » en cette année 1972, Alan STIVELL se retrouve, à Kertalg, entouré d'artistes traditionnels comme les Sœurs GOADEC, le Bagad BLEIMOR, dont il avait été, à partir de 1961, pendant près de dix ans, le penn-soner, d'autres acteurs du mouvement, comme Gilles SERVAT, TRI YANN (A l’époque dénommé TRI YANN AN NAONED), Gweltaz AR FUR, DIAOULED AR MENEZ), des groupes émergents, comme Les SKOLFERIENS, DOON AR MOOR, Les LEPRECHAUNS et d'amis comme, la femme de GLENMOR : Katell AR SKANV, ou son violoniste René WERNEER qui forme, à cette époque, un duo avec Gabriel YACOUB et accompagne l'Américain HAPPY TRAUM, alors seconde voix de Bob DYLAN.
Est, également invité le groupe irlandais, LES CHIEFTAINS.

La Bretagne montre, ainsi, son internationalisme et son interceltisme.

La prestation marquante et riche de symboles, notamment en matière de passation, de transmission, de pérennité culturelle, aura été l’interprétation d’Elysa par les Sœurs GOADEC, accompagnées, à la harpe par Alan. Des instants inattendus et atypique dans ce contexte !
Ce passage scénique figure sur la dernière plage de la face A du microsillon 33 tours.
Pour en écouter un extrait, reportez-vous à notre article « Eliz Iza et ses versions... » (Voir).



Le disque vinyle 33 tours « 1er festival pop celtic - Kertalg 72 », ne reprend que quelques-unes de ces mémorables séquences. Tous les artistes acteurs du festival ne sont, malheureusement pas « gravés dans la cire ».
Cet enregistrement, en public, reste, malgré tout, une pièce authentique qui « documente » ce festival fondateur réunissant, sur site, environ 20 000 personnes.

Nous avons sélectionné 3 extraits de ce vinyle originel, enregistré d’après une prise de son, in situ, de Dominique LEFEVRE :

- Les Sœurs GOADEC – Dans Plinn.
Il s’agit, en fait, de « E Garnison », égalment connu sous les noms de « E garnizon Lannuon », « Garnizon Lannuon », « Garnizon lañluroñ », « Ar miliner », « Na seitek deiz ha triwec'h miz ».
Sur l'air d'une danse plinn, les paroles sont chantées, par les trois sœurs, en kan ha diskan, avec une vigueur, vraiment, impressionnante !
Ce titre figure, en plage 7, sous le simple titre d’un « Plinn » sur l’enregistrement public de Bobino, produit par Gwenn LE GOARNIG (Le Chant du monde – 1973).
En hommage aux sœurs GOADEC, Denez PRIGENT reprenait ce morceau dansant… sur une histoire d'adultère, avec, en seconde partie du morceau, le concours de Louise EBREL, fille d'Eugénie GOADEC, lors de la parution, en octobre 2003, de son 4ème album « Sarac'h - bruissement ».
En habillant cette légendaire pièce de divers instruments, bombarde, subois, biniou, whistle, violon, percussions, guitare, DENEZ lui donnait, tour à tour, des colorations irlandaises, orientales, pour finir en pièce pour bagad.
Plus récemment, annonçant : « Maintenant notre rap, à nous, bretons, avec un tube, E garnison » DENEZ, publiait, en novembre 2016, une version scénique, en 7ème plage du DVD « Live - A-unvan gant ar stered, In unison with the stars » (CD + DVD), que nous vous présentions au travers d’une chronique de 2 pages (Voir) .
Quelle pérennité pour l’un des chants emblématiques de Maryvonne, Thasie et Eugénie.

- René WERNEER - Le Violon Gaucher.
Quel plaisir de retrouver, l'un des meilleurs violonistes du folk, ce véloce musicien d’origine lilloise qui, aux côtés et souvent, aux avant postes, d’Alan, vient, alors, de triompher à L’Olympia, au cours de la mémorable soirée « musicorama », précédemment évoquée.
En 1971, il découvre le folk aux côtés de Gabriel YACOUB et tourne, en duo, avec lui.
En 1972, tous deux sont présents, avec STIVELL, sur la scène de l’Olympia et à Kertalg.

- Bagad BLEIMOR - Dans Fisel.
La deuxième partie de l’extrait que nous avons sélectionnée laisse entendre un thème, formé de deux airs qu’Alan STIVELL a repris en plage 3 de son album E langonned (1974), sous le nom de « Planedenn », en spécifiant : Traditionnel sur deux airs de tamm kreiz.
Son passage à la tête du bagad avait été marqué par ses arrangements autour du répertoire des mélodies et danses, en s’inspirant, assez largement, du répertoire des 3 sœurs, pour nourrir celui de BLEIMOR.

Nous vous laissons le soin de vous immerger dans ces trois courts moments musicaux, captés en public, qui viennent compléter l’extrait de « Jig Reel, Suite », jouée sur un arrangement d’Alan STIVELL, par Les LEPRECHAUNS, courte séquence que vous pouvez entendre lors de l’accès à cette page.
Ce morceau, titré « Debhair An Rinceoir – Debair le danseur, figure en prélude à « Jig Gwengamp - La Dérobée de Guingamp, sur le disque « Alan STIVELL e Dulenn – Alan STIVELL à Dublin - (1975).

Les plus anciens retrouveront, les plus jeunes découvriront un festival déterminant qui avait, pour la première fois, à cette échelle, l’ambition de réunir écossais, irlandais et bretons autour de la musique traditionnelle et folk, tout en laissant, également, la porte ouverte vers d’autres minorités européennes et américaines.
Un objectif qui se perpétue, plus largement encore, notamment au travers de la « fédératrice » world music, au cours des petits et grands rassemblements culturels interceltiques actuels.

Sans prétendre être complets sur le Festival Kertalg 72, sans avoir cité toutes les versions des morceaux évoqués, nous espérons que cette chronique aura, tout simplement, permis de réactiver le souvenir d’une flamme interceltique qui éclaire, toujours, notre présent.

Gérard SIMON


Album vinyle "1er Festival Pop Celtic - Kertalg 72".
LP 33 tours - 30 cm.
Parution : 1973.
Label : Le Chant du Monde.
- Réf : LDX 74513.

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Nous vous proposons d'écouter 3 extraits de l'album :
Les Soeurs GOADEC – "Dans Plinn", René WERNEER – "Le Violon Gaucher" et Bagad BLEIMOR – "Dans Fisel" (06:50).
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Les titres de l'album "1er Festival Pop Celtic - Kertalg 72" :

Face 1 :
01 - Les LEPRECHAUNS – Jig Reel, Suite - 04:00.
02 - Happy TRAUM et René WERNEER (F. Chance) – Alligator Man - 03:45.
03 - Les SKLOLERIENS – Gavotte De Poullaouen - 03:10.
04 - DOON a MOOR – The Juice Of The Barley - 02:55.
05 - René WERNEER – Le Violon Gaucher - 02:40.
06 - Les Soeurs GOADEC et Alan STIVELL, à la harpe – Elysa - 05:50.

Face 2 :
01 - Les Soeurs GOADEC – Dans Plinn - 03:10.
02 - Happy TRAUM et René WERNEER – Sleepy Maggy - 03:05.
03 - Happy TRAUM et René WERNEER – Jack Hammer Blues - 02:45.
04 - Les LEPRECHAUNS – Horn Pipe - 02:35.
05 - Katel et Les LEPRECHAUNS – Viva Dieu (Katel AR SKANV) - 03:40.
06 - Bagad BLEIMOR – Dans Fisel - 06:00.


© Culture et Celtie

Illustration sonore de la page : Les LEPRECHAUNS : "Jig Reel, Suite" - Extrait de 00:55.

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