Alan Stivell, un musicien, une oeuvre...
L'article...

Extrait de Trema'n Inis : "Hommes liges des talus en transe..."


TREMA'N INIS, vers l'île, est un magnifique album consacré aux poètes bretons.
Il rend également un hommage à Jord Cochevelou, le père d'Alan, "à qui les Bretons doivent la renaissance de la harpe celtique".
Ce disque a été enregistré, quasiment, en solo par Alan, chez lui, à Langonnet.

Cet opus, très intimiste, présente sept titres interprétés, majoritairement, à la harpe et à la voix, celle-ci portant des textes très profonds et significatifs quant à l'identité bretonne et l'ouverture au monde, même si l'on ressent régulièrement une teinte nostalgique, normale dans le contexte du moment.
En tout cas, comme le dit Alan dans le "dossier d'Erwan Le Tallec" (cf discographie), il s'agit, pour lui, d'une expérience originale en matière de composition musicale et, bien sûr, surtout pour l’aspect récitatif des textes.
Les titres proposés sur cet enregistrement sont :


Stok ouzh an Enez "En vue de l'île"
Texte : Youenn Gwernig
Musique : Alan Stivell

Hommes liges des talus en transe
Texte : Paol Keineg
Musique : Alan Stivell

Rinnenn XX
"Arcane XX"
Texte : G.B. Kerverzhioù
Musique : Jord Cochevelou

An eur-se zo ken tost d'ar peurbad

"Cette heure si près de l'éternel"
Texte : Maodez Glanndour
Musique : Jord Cochevelou

Negro song
Texte : Per Denez
Musique : Alan Stivell

E-tal ar groaz
"Face à la croix"
Texte : Yann Sohier
Musique : Alan Stivell

Ar Chas doñv'yelo da ouez
"Les chiens redeviendront sauvages"
Texte : Yann-Ber Pirioù
Musique : Alan Stivell
Animation GS
Jeu de lumière sur la jaquette du CD
publié chez Dreyfus.

Parmi ces titres, il y en a un qui a tout particulièrement retenu mon attention, tant par sa longueur dans le disque (16 mn 05), que par la qualité des extraits choisis, au point que je souhaite le développer au travers de cet article.
Il s'agit de "hommes liges des talus en transe" de Paol Keineg sur une musique d'Alan.
Ce texte est très riche. La connotation triste de la description du départ précède un message très fort d'espoir et de confiance en l'avenir...
Il n'y a, selon moi, aucune utopie en son sein puisque nous en vivons déjà certains aspects espérés même s'il reste encore un long chemin à faire.

Quelques lignes Explicatives :
Paol Keineg, est un militant qui a compté parmi les plus jeunes des 17 membres fondateurs de l'UDB (Union Démocratique Bretonne), dans les années 60. Confronté à l'incompréhension d'une population bretonne indifférente, il a opté pour la poésie avec laquelle il a accompagné nombre d'événements, dressant ainsi un tableau unique de ces années de révoltes populaires dans les usines et rues de Bretagne et aboutissant au militantisme structuré et de plus en plus efficace que l'on connaît aujourd'hui.
"Hommes liges des talus en transe" se présente comme un très long poème qui a été publié en 1969 aux éditions P.J. Oswald. L’ engagement de l'auteur est omniprésent et on y ressent très nettement l'influence des événements de mai 68.

Alan a sélectionné ici de larges extraits de cet ouvrage.
La plus grande partie est récitée mais quelques passages sont également chantés. Sa voix est surprenante, ce n'est pas celle que nous avons l’habitude d'entendre. Il en use cependant avec une virtuosité aussi parfaite que celle qu'il applique à la harpe, variant sur le ton, l'intensité, en fonction de ce qu'il dit. Il assure ici un rôle de barde tel qu'on peut l'imaginer selon les descriptions qui en ont été faites. En ce qui concerne le texte, Poal Keineg utilise un langage tout en images, symboles et paraboles. Les répétitions de mots donnent à l'ensemble un rythme qui vous capte l'oreille et vous entraîne dans les spirales de sa réflexion. Impossible de tout appréhender à la première écoute, plusieurs seront nécessaires pour comprendre le sens des messages qui sont délivrés mais c'est en tout cas très représentatif de la situation de la Bretagne et des hommes qui l'habitent.
En voici une tentative d'explication, et d'interprétation... toute personnelle.

Pour commencer... il pleut !
Et ce sont vraiment des gouttes de pluie qui s'égrènent de la harpe tandis que défilent différents tableaux "récités" par Alan sur un ton profond et calme. Ceux-ci traduisent un côté assez gris et terne d'une situation qui semble "bouchée" pareil aux temps.
Tout semble endormi. On peut également supposer qu'il s'agit d'une réaction aux traditionnels clichés qui présentent toujours la Bretagne comme un pays pluvieux...

Il pleut sur les coqs de bruyère (...)
Il pleut sur les femmes obstinées à emplir les églises par l'entonnoir des porches (...)
Il pleut sur les hommes lourds et muets.

Le narrateur se met ensuite en position de réflexion :

Je m'éveille (...)
Et à la clarté des couteaux
Je laisse plonger en moi les racines du pain.

Les images qui nous parviennent en premier traduisent une colère rentrée, un malaise certain, des tentatives de combat qui se heurtent au silence de ceux vers qui elles s'adressent :

Plus loin que la végétation des colères inextricables qui lancent leurs lianes parmi les hommes en démolition
Plus loin que les migraines veloutées qui grattent et qui mordent (...)
LE SILENCE
Le champ clos du silence
La fermentation du silence
Qui butte contre les vitres.

Notons que sur ces dernières paroles, c'est vraiment le silence qui s'installe :
La harpe se tait, Alan détache chaque vers, nous laissant le temps de pleinement nous en imprégner.
Mais, autrefois, la situation n'était pas toujours aussi obstruée, il était un temps où régnait entraide et partage entre les hommes :

Hommes je vous parle d'un temps qui nous appartenait plus (...)
C'était du temps où l'homme était un frère pour l'homme
Où les hommes se disaient bonjour du haut de leurs collines...

Et tout ceci se termine sur un constat accablant :

La dépossession d'une patrie entière

Alors surviennent des images de guerres et de batailles visant à reconquérir le territoire arraché. Par les mots évoqués, on pense surtout à la guerre de 39-45 qui a laissé beaucoup de traces tant physiques que morales :

Au bout de l'océan (...)
La connaissance ininterrompue de la mort (...)
La Visitation d'étranges bêtes brûlantes agitées de soubresauts
La Visitation massive de boules de feu(x)

Toute cette accumulation d'images pénibles va conduire "au cri du cœur" lâché par Alan tandis qu’il décoche simultanément une énergique cascade de notes sur toutes les cordes de sa harpe la faisant également, crier :

JE TE CRIE PAYS
Pour tes éblouissements d'yeux dardés
Pour tes contrebandes de chaleurs farouches (...)
Tes pur-sang purulents qui verdoient de sulfure (...)
ET JE CRIE

Nous repartons ensuite dans des descriptions déprimantes traduisant un malaise de plus en plus pesant :

Enfants rachitiques que l'on repousse du bout du pied (...)
J'ai vu tomber par touffes l'ardoise des toits inertes (...)
Et j'ai vu sous les portières du Ponant
S'effriter les enfants pâles et dilatés
Lourds héritages de fatigue
D'espoirs séquestrés (...)

Et ce malaise est douloureux :

Soudain nous prend en route
Le mal taillé en coin (...)
Le mal douleur de vilebrequin
LE MAL DU PAYS NATAL

C'est, alors, l'appel au rassemblement pour se sortir de cette situation étouffante :

Mes frères, mes frères
Hommes brûlants plantés d'épines (...)
Hommes de mon pays et d'ailleurs
Buvez aux geysers de l'humanité
Appareillez pour de grands hommes lourds de justice (...)
Vous partagez nos démangeaisons de liberté

Le changement se prépare cependant, doucement :

Il n'y a pas de passé en Bretagne
Seulement un imperceptible mouvement des lèvres
Au détour de petites phrases anodines et friables (...)
Sinon un bourdonnement d'hommes réfractaires

La situation ne peut continuer à pourrir ainsi, car l' éxode se poursuit (nous pensons évidemment aux bretons qui partent pour Paris ou d'autres pays) :

Les déportations massives continuent (...)
Nous sommes un peuple hauts fourneaux
Un peuple coulé d'aubépine ….
Nous ne capitulons pas

Apparaissent alors les premières manifestations visant à changer les choses. Le langage est, ici, très clair et, à peine, imagé :

Et notre peuple accompli soudain des révolutions étincelantes à la face du monde
Un peuple vaincu s'exerce au maniement des marées montantes
Je les vois qui s'assemblent tous sur les places (...)
Colleurs d'affiches, vendeurs de journaux, distributeurs de tracts, porteurs de pancartes
Etudiants insolents et nerveux se dérobant avec véhémence
Aux haleines fétides, aux visages craquelés...

Et c'est là, au milieu de ces manifestations que naît l'espoir du changement et ce ne sont pas de vains mots :

Aujourd'hui je vous le dis
Nous allons procéder à des glissements de terrain (...)
Alors, nous nous installerons dans l'odeur des charpentes et le soulèvement des toitures
Pour des émeutes de tendresse
Aujourd'hui je vous le dis (...)
Un peuple nouveau se dégage des siècles gluants
Ce pays chloroformé
Ce pays bruissant d'espoirs clandestins
Rouvre les yeux sur les banlieues surmarines (...)
Qu'éclatent les bouches captives de mon peuple enfanteur d'hirondelles

Depuis l'année de parution de ce poème, nous pouvons constater aujourd'hui une certaine évolution dans les mentalités, en Bretagne comme ailleurs. Pas étonnant, en conséquence, qu'Alan Stivell ait choisi ces extraits dans la droite ligne des mots qu'il a écrits dans "Délivrance". Bien qu'il reste encore un long chemin à faire, semé d'embûches, ces propos, même s'ils semblent quelque peu "prêcheurs", nous amènent vers l'espoir du changement tant qu'il y aura des gens pour vouloir le créer. Alors...

QUE S'EVEILLE MON PEUPLE AUX QUATRE COINS DU MONDE MATINAL !

Artlcle de MIREILLE

NB : Rendez-vous à la rubrique discographie, à la page du CD Trema'n Inis.
Grâce à Mireille, en cliquant sur le titre concerné, le texte d' "hommes liges des talus en transe" est disponible sur notre site.




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