Alan Stivell, un musicien, une oeuvre...
Reportage...

7 mars 2004
Carhaix

Nous sommes dimanche, dans le grand hall de l'Espace Glenmor.
Il est 15 h 30 et le concert commence à 17 h 00. C'est inhabituel comme horaire - les concerts se déroulent, généralement, en soirée - mais le fait est coutumier dans le cadre de la programmation annuelle de cette organisation qui donne, au moins, un spectacle par mois, le dimanche après-midi.

C'est donc un public plutôt familial qui commence à remplir l'entrée : parents et enfants, parfois accompagnés des grands-parents... Les places n'étant pas attitrées d'avance, chacun tente d'arriver, le plus tôt possible, devant la porte d'entrée de la salle pour obtenir la place de son choix.
C'est amusant à observer. Derrière la porte close de la salle, on entend quelques accords : apparemment, Alan et ses musiciens sont en train de répéter "Brian Boru".

16 h 45 : enfin, la porte s'ouvre. Ouf, il était temps, nous commencions à nous sentir oppressés derrière ! Une fois la place convoitée atteinte, nous commençons à examiner les lieux.
La salle, de taille moyenne, semble idéale pour une écoute parfaite. Le décor de la scène est sobre, il privilégie surtout la présence des instruments. Ceux qui attirent en premier notre regard, sont bien sûr, les trois harpes. Celle en Plexiglas, dite "de cristal", est en arrière-plan, un rayon bleu vert est projeté sur elle mettant en valeur sa transparence. A l'avant, et sur la droite, se trouve la petite harpe bardique à cordes métalliques, et, bien dressée devant nous, l'étonnante et nouvelle harpe "Camac-Stivell " en alu-bois médium et cordes de nylon. Les amateurs auront sûrement pu l'admirer lors de sa première "sortie scénique" de Saint-Malo le 3 octobre 2003.
Aux pieds de cette "grande dame" se trouvent quelques gros galets bien ronds comme ceux que nous trouvons sur les côtes bretonnes. Ce détail préfigure sûrement une volonté de faire référence à la mer. Le reste de la scène est occupée par les autres instruments : claviers, batterie...
Un technicien tourne autour du tout, il procède aux derniers réglages.

Il est un peu plus de 17 h, lorsque Daniel Thenadey, le directeur artistique de l'Espace Glenmor, monte sur la scène. Après avoir présenté le centre culturel et ses activités, il nous dresse un portrait d'Alan, "un enfant du pays, puisque son père était de Gourin, et qu'il a habité plusieurs années non loin de là, à Langonnet". Conscient de l'impatience du public, il nous souhaite un bon spectacle et laisse la place aux musiciens qui font leur entrée.

Ils sont trois : Yohan Berg Daalgoard s'assoit derrière les claviers, Arnaud Ciapolino se saisit de sa flûte traversière et Latabi Diouani s'installe à la batterie. Ils entament l'introduction de "Eliz Iza". Tout de suite, nous sommes plongés dans une ambiance vibratoire qui nous serre la gorge. Le claviste est très concentré, ses yeux sont fermés, il se balance doucement tandis qu'il plaque ses accords, on perçoit même son souffle... La flûte égrène d'émouvantes notes qui nous transportent… C'est à peine si nous remarquons l'arrivée, heureusement ponctuée d'applaudissements, de celui que nous attendons, Cette fois-ci, il est là, c'est parti pour environ deux heures qui, seront bien trop courtes malheureusement. Nous ne verrons pas le temps passer.

Alan s'approche de la belle harpe centrale et commence à la faire vibrer. Ses notes sont claires, très douces... Le musicien improvise des variations sur le thème d' "Eliz Iza". C'est, à chaque fois, un pur bonheur car elles ne sont jamais les mêmes, d'un concert à l'autre. Les jeux de lumière projettent l'ombre de sa harpe et de ses mains au mur, l'effet est magique. Il termine sur une note basse qu'il prolonge et fait résonner comme le bourdon d'une cornemuse, la note répand ses ondes sur le public contemplatif qui tarde, du coup, à lâcher ses premiers applaudissements. Vient ensuite la présentation de ce superbe instrument et diverses explications au sujet de cette tournée anniversaire (voir autres reportages de ce site).


Le survol, avec votre souris, des images originales de Mireille vous suggérera, bien modestement, certes, la magie des éclairages qui accompagne celle des notes d'Alan...

 

La première partie du concert, comme souvent, se voudra plus calme, plus acoustique, privilégiant l'écoute. Les morceaux seront largement puisés dans le répertoire du dernier CD "Au-delà des mots" et c'est effectivement, bien au-delà des mots, que nous sommes transportés. L'émotion ressentie, mais cela n'étonnera personne tant c'est évident, est bien différente de celle que l'on éprouve en écoutant le même air sur son disque. Cette émotion, nous pouvons d'ailleurs la voir se traduire de diverses façons dans le public : ceux qui restent assis, bien droits, les sourcils froncés et les bras croisés, d'autres qui balancent la tête de droite à gauche, les yeux levés vers le ciel, certains semblent endormis, des amoureux sont tendrement enlacés, une petite fille a empoigné son doudou, enfourné son pouce dans la bouche, elle s'est blottie dans les bras de sa maman sans détacher une seule seconde ses yeux de la scène... Il y a fort à parier que ce concert restera longtemps gravé dans ses souvenirs d'enfance !

Les morceaux s'enchaînent, de plus en plus rythmés, piochés à chaque fois dans les répertoires récents ou anciens. Certains ont été entièrement "relookés" , tant dans l'interprétation que la mélodie : passages chantés, alors qu'auparavant, ils étaient joués à la harpe ou bien l'inverse, passages joués avec d'autres instruments, et aujourd'hui retranscrits pour la harpe, accompagnements de chants différents... Nous ne nous lassons pas. C'est dans ces moments précis que l'on retrouve le grand talent de notre artiste : aller toujours plus loin, innover, puiser de nouvelles inspirations dans des sonorités venues de tous les pays.

Revenons à la technologie de sa nouvelle harpe : c'est incroyable tout ce qu'il peut faire avec. Nous n'avons vraiment pas l'impression qu'il s'agit d'un seul instrument tant nous entendons de choses différentes : des sonorités très cristallines, d'autres plus claquantes, certaines rappelant la guitare électrique... Tel un pilote de vaisseau spatial, nous le voyons aller d'un petit coup de pédale par-ci, une manipulation de palette par-là, avec une maîtrise parfaite, l'instrument répond immédiatement, et nous, nous décollons avec lui ! Très impressionnant également, le frottement qu'exerce Alan sur les cordes de basse lors de l'interprétation de "Ceux qui sèment la mort" : l'effet produit évoque le cri des mouettes, le vent, le tintement d'une sirène... Ce n'est certes pas une façon très habituelle de jouer de la harpe, mais son jeu s'intègre parfaitement dans l'interprétation globale du morceau, il devient prenant lorsqu'on voit Alan se balancer légèrement, les yeux fermés... Autre titre émouvant les " Gammes de la tristesse " dédié à son père et autres disparus. Au cours de cette interprétation, Alan se met un peu à l'écart, et laisse ses musiciens s'exprimer. L'émotion est intense, pour lui comme pour nous, car il nous interpelle dans nos souvenirs personnels. Dans le public, des yeux brillent, voire ruissellent... Un vrai barde doit savoir jouer dans les trois modes de mélodie : joie, tristesse et sommeil. Alan s'y emploie totalement.

Images originales de Mireille à survoler avec votre souris...

 

Des morceaux plus gais ponctuent la suite : enchaînements de danses, jigs et reels irlandais, à la finale de la Symphonie celtique, le public se lève et tape dans les mains pour le plus grand plaisir de notre homme qui nous encourage à le faire et à chanter avec lui. Coup de chapeau au passage au batteur qui ponctue tout cela avec beaucoup d'énergie. Il transpire tellement qu'il achève ce concert avec une grosse serviette éponge autour du cou ! Habitués aux spectacles de Stivell, dès que nous l'entendons entamer "Pardon Spezed " (dans sa version bretonne, puis française), nous savons que la fin est proche. Avec le dernier rappel, arrive l'incontournable "Tri martolod " qu'Alan gratifiera de quelques rallonges en promenant son micro sous le nez des spectateurs du premier rang.

Voilà, c'est terminé, les adieux sont faits. Nous aurons beau continuer à nous faire mal aux mains et à taper du pied, ils ne reviendront pas... C'est toujours trop court !... Kenavo Monsieur Stivell, revenez-nous vite !

Les lumières se sont rallumées, la salle se vide, les techniciens s'emparent à leur tour de la scène pour ranger le matériel, les câbles tombent au sol avec un claquement sec... pas très agréable après ce que nous venons d'entendre ! Des mains agrippent la petite harpe pour la glisser dans un étui tout plat : elle est toute légère et semble encore auréolée de ce que l'on vient de lui faire faire. Sa grande et belle voisine, encore debout, suscite les commentaires de quelques personnes rassemblées à ses pieds. C'est intéressant de traîner un petit peu dans la salle avant de partir, cela permet de se reconnecter avec l'extérieur en douceur. Vivement le prochain concert !

Reportage et photos de Mireille.




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