Alan Stivell, un musicien, une oeuvre...
Le reportage...

14 octobre 2006
Alan à Argenteuil... salle Jean Vilar

Baroudeur international, inclassable artisan de la musique néo-celtique échappant à tout formatage, Alan Stivell présente, ce soir, au public d’Argenteuil le fruit de ses dernières recherches principalement nées de l’expérimentation teintée d’influences multiples.

Un public nombreux et bruyant se presse dans l’accueillante salle Jean Vilar. Les conversations sont très denses et chacun échange ses souvenirs d’un concert passé, à Colombes, en Bretagne, au festival de Lorient… L’ambiance est chaleureuse et l’on attend, avec une certaine fébrilité, l’apparition, sur scène, de l’artiste.

20 h 30. Le noir de la salle nous enveloppe. Quelques projecteurs blancs caressent timidement la harpe blonde et argent. Encore dans la pénombre, les autres instruments se font discrets. Alan Stivell apparaît, seul. Il se dirige d’un pas alerte vers l’instrument de sa vie, pose délicatement sa main sur les cordes, et ne le quittant pas du regard, il s’adresse aux spectateurs.

"Bonsoir à tous. Ca ne vous dérange pas que je commence seul ?… Je vous présente ma dernière harpe, elle est telle que je l’ai imaginée, souhaitée. Elle me permet d’obtenir beaucoup d’effets... Je vais, tout d’abord, si vous le voulez bien, vous jouer un morceau ancien … "Eliz Iza"…"


Animation GS
Photos Claudia et Charly Dunas

Comme fasciné par son accapareuse "compagne", ses dernières paroles, prononcées en intimes volutes, nous sont devenues presque inaudibles, mais, déjà, ses doigts experts touchent le cordage, l’on reconnaît, de prime abord, les premières mesures de ce morceau tant de fois repris par l’artiste, mais toujours dans des versions inédites.

Très vite Alan prend des chemins de traverse. Jaillissant de la "source" intarissable de sa fertile inspiration, déferle une cascade de notes improvisées en multiples triolets, s’accélérant en sextolets de double, voire quadruple croches pour atteindre, dans sa finalité, une vitesse vertigineuse.

Le silence est total et je comprends pourquoi.
Dès le début de ce concert, Stivell nous "écrase" par sa prodigieuse virtuosité, mais le choc est agréable. Le musicien présente le deuxième morceau. Quelle belle surprise puisqu’il s’agit d’un titre issu de l’album "Chemin de Terre" repris, quelques décennies plus tard, dans l’opus "Again".

 

A Cappella, Alan entonne les premiers couplets de la très émouvante chanson "Maro Ma Mestrez"… Comme dans une cathédrale, sa voix va s’amplifiant sous l’ogive invisible de cette salle. Le saxo électrique, puis la clarinette de Guillaume Saint-James ponctuent la musique de plaintes laconiques. Place à la nostalgie, donc, pour ce début de soirée et "flash back" sur les années passées avec quelques chansons anciennes non oubliées parce qu’inoubliables.

Depuis peu, ses accompagnateurs l’ont rejoint sur la scène. Marc Camus à la batterie, percussions et basse, Sébastien Guérive aux claviers synthétiseurs, sampler et "effets" divers, et Arnaud Ciappolino, aux flûtes, caisses claires, percussions. En leur compagnie nous avançons dans le temps, sans toutefois quitter les terres celtes, Stivell venant effleurer un chef-d’œuvre… l’album "Au-delà des mots". Avec une sorte de recueillement, deux très belles musiques sont jouées "Harpe Atlantique" et "La celtie et l’infini" qui me replongent dans les sphères d’une tournée mémorable dédiée au cinquantenaire de la renaissance de la harpe bretonne. Puis il reprend la parole :

"Brian Boru", dédié à la paix en Ulster. Quelquefois cela semble utopique de rêver à la paix… cependant quelquefois cela marche… en voici la preuve aujourd’hui… Il faut toujours espérer."

Ce n’est plus la peine désormais de présenter cette magnifique composition chantée, d’abord, dans sa version originelle, puis en langue Française. Des applaudissements très nourris achèvent cette première partie du spectacle. A présent nous allons arpenter les chemins déambulatoires de son inspiration et de l’exploration musicale puisque nous rentrons au cœur du sujet de cette tournée nouvelle, l’artiste nous présentant le dernier né de sa riche discographie.

"Je voudrais vous parler de mes affinités musicales, mes influences ne sont pas seulement la musique Bretonne, mais toutes les couleurs sonores qui m’attirent tout particulièrement… C’est mon univers, en tout cas. Les chansons qui illustrent mon dernier disque évoquent les sentiments, par exemple, quelque chose que nous connaissons tous un jour, le deuil… la perte d’un être cher… arrive enfin la consolation, l’espoir, l’amour…Il y aussi le rêve, un voyage au travers des landes bretonnes à la rencontre des Druides, des Monts d’Arées, les gens quittant leur pays, les apatrides souvent accusés de tous les maux… voici "Explore".

Alan, très concentré, commence par cette chanson douce… "Là-bas… là-bas..." A peine touchées, les cordes de la harpe égrènent ses notes mélancoliques. La musique est splendide, mais Dieu que la voix de Stivell est nuancée, souple, puissante. La flûte d’Arnaud Ciappolino et le synthé de Sébastien Guérive la soutiennent avec délicatesse, mais beaucoup d’efficacité. Le son est superbe et notre oreille capte parfaitement toutes les petites subtilités et les micro-intervalles "posés" dans l’album. Lorsque l’on connaît toute la difficulté qui résulte de reproduire, sur une scène, les effets sonores enregistrés dans un studio, l’on ne peut qu’être admiratif… suivent les titres "You know it", "Te", "They", "Druidic lands" exécutés sans ruptures, sans minime récupération…


Ici, place au chant, à la parole, à la sonorité rauque des mots débités en cadence.
La musique monte en rythme, la batterie, la caisse claire, les claviers interviennent ponctuellement. Micro-programmation, sample, loops, alimentent un ensemble bien construit, bien huilé. L’on perçoit, ça et là, une réminiscence raga, jazzy, hip hop parfois fragmentés de résonances indiennes, jamaïcaines, mais n’oubliant jamais les racines celtiques. Cette seconde partie est un concentré d’énergie plein d’éclectismes et de déclinaisons aux influences multiples…
Animation GS - Photos MLA

Ses accompagnateurs réussissent, dans cet exercice difficile, un réel tour de force… N’oublions pas de souligner le travail "colossal" de l’indispensable Arnaud Ciappolino, qui seconde, en bon Lieutenant, le "Général d’armée" de cette gigantesque "bataille" sonore où se combattent, s’entrelacent les tendances électriques, électro, rock qui nous emportent dans un tourbillon avant de s’apaiser sous l’harmonie des éclairages émeraude, turquoise et outre-mer qui irradient les musiciens et leurs instruments de leurs nimbes colorées. Cependant, tout n’est pas achevé. "Miz Tu" nous rappelle à la réalité des grandes solitudes des villes de verre et de béton, ces villes oubliées, déshumanisées et sans âme.
Avec cette chanson, Stivell conclut son éprouvante prestation sous une véritable clameur.

Il se penche, prend une petite bouteille d’eau… la tend vers les spectateurs.

"Bon …ben… je vais boire un coup… Je suis désolé mais j’en ai qu’une… C’est pas juste, c’est inégal… je sais…"

Le visage radieux, le regard rivé sur "son public", il l’interpelle :

"Maintenant on va revenir un petit peu vers la Bretagne… Nous allons jouer un "An Dro", mais je veux voir tout le monde danser… Allez !... Allez !".

Les spectateurs ne résistent pas à une telle invitation. Ils courent vers le devant de la scène, soit pour danser ou pour s’approcher du célèbre musicien. La musique reprend... A la harpe, son "jeu" est fulgurant. Dans sa façon d’aborder son instrument, Alan me rappelle les vertigineuses montées des doigts d’Eric Clapton sur le manche de sa guitare. Fasing, Bend, Riff et pédales d’effets n’ont plus de secret pour lui. Tour à tour "harpeur", parfois "quasi rappeur", "rocker", Stivell est un harpiste de très haute lignée, soit, mais un unique " harper hero" et je revendique le droit de le placer sur le même piédestal que les sultans de la "six cordes".

Animation GS - Photos MLA

A présent, nombreux sont les sièges désertés, les danseurs en rang serrés cernent la salle… Alan, le sourire aux lèvres, s’approche du bord de la scène et descend de celle-ci, il tend son micro aux spectateurs histoire de pousser la note avec eux. La soirée n’est pas finie, mais il n’est pas de si bonne compagnie qui ne se quitte.

Revoici les inaltérables "tubes"…. "La Suite Sudarmoricaine", dans une version nouvelle, le grand "pen soner" n’a pas oublié "Ian Morrisson Reel".

Les artistes saluent, s’échappent… Les cris, les applaudissements, les pieds martelant le sol les forcent à revenir très vite.

"Puisque vous êtes sympa, vous allez tous la chanter avec moi…"

Quel sympathique tintamarre… nous sommes un peu abasourdis. Mais tout le monde reprendra en chœur, bien évidemment "Tri Martolod" et Stivell ne sera pas le dernier à remettre de l’ambiance dans la salle.

Sacrée soirée, Monsieur Stivell !

Reportage MLA




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