Alan Stivell, un musicien, une oeuvre...
Le reportage...

 

10 février 2007
Stivell au Théâtre Simone Signoret de Conflans Sainte Honorine

Conflans Sainte-Honorine, capitale française de la batellerie, fièrement campée sur son plateau calcaire, domine de sa trentaine de mètres, deux fleuves, l'Oise et la Seine qui se prosternent devant l'historique cité des Yvelines.

Si, jadis, celle-ci a dû lutter avec courage contre l'invasion des Wikings et faire face à de multiples guerres féodales, aujourd'hui, Conflans, offre volontairement les "clés de la ville" à un très habile conquérant qui doit ses victoires grâce à une "arme" prodigieuse, sa harpe. Alan Stivell et "ExploreTour" font une halte en "terre conquise" puisque l'artiste joue, ce soir, à guichet fermé, c'est dire si la venue du musicien est attendue.


Février 2007...
la tournée reprend...

En pénétrant dans l'amphithéâtre du théâtre Simone Signoret, nous distinguons les nombreux sièges rajoutés à la hâte aux quelques huit cents fauteuils originaux afin de satisfaire les nombreuses demandes de réservation.

Il est vingt-et-une heures lorsque le rideau s'écarte. Un murmure de satisfaction et des applaudissements fusent de la salle tandis qu'Alan Stivell se dirige, seul, vers son inséparable compagne. Souriant et volubile, le musicien s'adresse au public :

"Bonsoir Conflans. Tout d'abord je voudrais vous dire que j'ai été reçu comme un Prince que je ne suis pas… et vous ?... Nous allons commencer par quelques morceaux très anciens que je n'ai plus rechantés depuis longtemps, voici "Ar Voraerion" de l'album "E Langonned".

Dans un silence quasi religieux les premiers arpèges s'égrappent de l'altière harpe. Légères et harmonieuses les notes bousculent notre mémoire. Cette nouvelle version d'"Ar Voraerion", nous rappelle la pénible existence des marins pêcheurs. Voici une entrée en scène aussi divine qu'inattendue. Le musicien jette un petit coup d'œil au sol, sur le "programme de la soirée" fixé au pied de son instrument. Après quelques mots de présentation du morceau suivant, il enchaîne avec l'un des titres phare de son répertoire des années soixante-dix : "Marig Ar Pollanton". Cette chanson, reprise quelques années plus tard par plusieurs artistes Bretons, doit, avant tout, sa notoriété à Alan Stivell qui la soutira à l'époque de l'anonymat, sa voix caressante faisant merveille dans cette douce complainte narrant les amours contrariées d'une jeune fille pour un prisonnier.

A présent, voici "Reflets"…au même titre éponyme de l'album. Je ne l'ai plus interprété depuis de très longues années…"

A cet instant précis, je comprends que la tournée 2007 d' "Explore Tour" est bouleversée, transformée. Le spectacle prend une toute autre mesure. Quel indescriptible bonheur d'entendre ces morceaux surgis du passé. "Reflets" est l'un des rares poèmes écrit par le musicien à l'époque.

Semblant surgir des flots rugissants de l'océan, les notes mirifiques s'exhalent de la harpe.
La musique transfigure un texte fort et partisan. Le public est conquis, sous le charme, rallié à sa cause. Nous voici près à le suivre sur tous les chemins de la création. Quelle belle soirée !

Nous ne quittons pas la Bretagne, ni les légendes Celtes et ses nombreux mystères.

"Je vous emmène vers la cité d'Ys..."

A présent, tous ses accompagnateurs l'ont rejoint sur la scène. Nous sommes tout ouis, alors que commence le voyage musical vers l'antique cité. L'on croit entendre des chuchotements, des plaintes et des soupirs, le bruit de l'eau qui ruisselle, mais tout ceci est dans notre imaginaire, c'est simplement le son des notes qui naissent miraculeusement sous les doigts agiles du maître d'œuvre de cette ode majestueuse.
A ses côtés, Arnaud Chiappolino distille ses interventions gracieuses à la flûte traversière.


Photos Mikaël PEDRONO

C'est beau, c'est prenant. Puis, nous continuons notre parcours, nous faisons une petite halte sur les Monts d'Arées, sans doute, avec la "Suite des Montagnes".

Là encore, tout est différent, le son me rappelle celui du prodige album "Harpes du Nouvel Age". Je ne suis pas au bout de mes surprises.

Petit à petit, le morceau évolue, monte en puissance, la harpe se fait rugueuse, puis "guitare électrique" avec des sons saturés à l'extrême. Je scrute l'assistance, les regards sont étonnés et les têtes se balancent de droite à gauche dans le même rituel. Pas de doute, les spectateurs ne font pas de résistance, ils suivent l'artiste dans sa quête sonore.

Suit "La Celtie et l'infini" puisé dans le très remarquable album "Au-delà des mots".

La pulsation des premières mesures trouble le silence. Intervient tout d'abord, la harpe délicate, puis les pulsations s'amplifient … Aux percussions, Marc Camus intervient, Sébastien Guérive aux claviers et synthétiseurs ponctue la musique d'effets divers, Marc Camus, à la batterie, martèle la cadence et répond aux crépitements de la caisse claire d'Arnaud Ciappolino, c'est surprenant, mais il n'y pas moyen de résister…. c'est terriblement efficace.

"Il y deux ans, je rêvais de paix en Irlande. Les rêves, quelquefois, peuvent se transformer en réalité. On peut, donc, toujours rêver à la paix. " Brian Boru".

Désormais, Stivell interprète ce texte dans sa version originelle, puis en langue française. Cette chanson, incontestablement, fait partie des plus belles compositions de l'artiste.


Photos Mikaël PEDRONO

Les musiciens marquent une pose. Place au nouvel album. Alan, s'approche du micro. Ses lèvres murmurent un poème qui résume la généralité du disque "Explore". Les mots sont sensibles, on écoute sans mot dire.

Ses doigts effilés effleurent tendrement les cordes de la majestueuse harpe fièrement campée au centre de la scène. Elle brille de mille feux, d'or et argent. Les spots l'éclaboussent, ça et là de teintes multicolores. Elle s'irise de bleu ardent, de vert, de pourpre, de mauve chatoyant… c'est un délice pour les yeux. Alan égrène une longue improvisation, le cristallin solo "Explore", qui achève, d'ordinaire, le disque. Suit la plus bouleversante chanson de l'album " Là-bas, là-bas". Ai-je déjà entendu plus subtile mélodie ?

Les yeux fermés dans une muette concentration, le chanteur module ses tendres mots, l'amour d'un fils pour une mère.

Nous décryptons, au passage, des notes venues du pays du Soleil Levant aux odeurs de jasmins sauvages. Avec cet album Alan nous emporte sur des chemins inhabituels, et dieu sait si le harpiste a déjà fait de prodigieuses explorations. Si les influences "extérieures" sont majoritaires, les boucles rythmiques s'allient avec les réminiscences de transe bretonne. De surprenants claquements sonores traversent et surprennent notre tympan gauche pour gagner l'orifice de l'oreille droite. Sans la souffle d'une interruption, les titres s'enchaînent :
"Te", "Druidic Lands", "Menez"… Sur scène, les musiciens forment un ensemble bien "huilé " dont les rouages s'entrelacent sans défaillances. Stivell a toujours su choisir ses complices, la preuve en est, encore, ce soir, l'ensemble est cohérent. Alan Stivell maîtrise parfaitement son sujet, il a compris, depuis longtemps, que la bataille était gagnée, que nous étions vaincus, que nous rendions à l'évidence, ce "harpeur" mais surtout ce "Rock Harper" dépose à nos pieds son trophée, son insatiable talent. L'ambiance "techno" bien présente au début de la tournée devient au fil des concerts, plus rock.

La salle est débout lorsqu'il scande "Miz tu". Il a quitté sa harpe, le micro à la main, il accompagne ses mots en tapant légèrement du talon sur les planches. Le musicien va "chercher le public", pointe son doigt vers la salle, les spectateurs l'accompagnent en frappant des mains… belle complicité... "Miz tu, Miz tu, Setu, setu, Trist eo MizTu".

Le concert s'achève… mais les spectateurs ne sont pas d'accord pour laisser partir le groupe. Le bruit, les cris de rappel sont tels que je suis un peu assourdie par leur volume. Après quelques minutes d'attente, le revoici…. le visage radieux.


Photo Mikaël PEDRONO
"Allez, un An Dro !"

De nouveau, nous voici en terre bretonne, mais il n'est pas question de danser ce soir, la salle est bien trop pleine et la place ne le permet pas. Dommage. Ce n'est donc pas Kate Bush qui chante auprès d'Alan dans cette version revisitée parue dans l'album "Again", mais Arnaud Ciappolino qui donne la réplique à Alan. Stivell revient une bombarde à la main. L'ambiance est brûlante pour aller au "Pardon de Spezet".

Stivell rit en voyant le public massé devant la scène :

"On fait une Jig ? On peut rester bien serré… c'est plus facile que pour danser une Gavotte".

Il nous emporte dans un tourbillon de notes. Bien placés, nous pouvons voir ses doigts courir sur les cordes…. Est-ce possible ?

Les spectateurs ne partent pas. Puisque tout le monde attend… continuons la fête…

Une clameur couvre les premières notes de "Ian Morisson Reel". La frêle silhouette se profile au fond de la scène sous des lumières bleues et roses très tamisées, elles ajoutent une part de mystère à cette inventive apparition.

"Alan, Alan, Tri Martolod...!!!"

Tout le monde revient, une nouvelle fois, sur la scène.

"On ne vas pas se quitter sans chanter quelque chose ensemble... "

Assourdissant vacarme. "Tri Martolod" sera chanté comme un cri de ralliement et repris en chœur par quelque neuf cents personnes, puis, de nouveau "Miz Tu", en rappel final

Comme dans les arènes, naguère, les clameurs se sont tues. Le public rassasié a salué un bien beau gladiateur.

J'achèverai ce récit en m'adressant à ceux qui doutent, encore, de l'intégrité du musicien envers sa culture et son attachement au pays d'Armorique lors de la sortie de l'album "Explore" , que jamais Alan Stivell n'a aussi bien joué, et chanté, la Bretagne.

Reportage MLA




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